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Ce mois-ci, Monique BERNARD

07 21 monique bernard

Biographie

Monique a été une autrice non meusienne invitée dans la bibliothèque du site de PLUME. Pour découvrir sa biographie et sa bibliographie, nous vous proposons de vous rendre sur sa page archivée en cliquant sur ce lien.


Ecriture

« Agacée depuis longtemps par une habitude française, dont même la plupart des femmes de ce pays n’ont pas conscience, j’ai décidé de prendre la plume pour illustrer cette misogynie héritée de l’époque napoléonienne. Aux lectrices (et lecteurs) d’en juger. »

Au nom de la femme
ou
les tribulations d'une Française en Europe

(Partie I sur IV)

Je m’appelle Martin, ce n’est pas très original, je sais, mais c’est mon nom et je n’en veux pas d’autre. Il paraît que c’est le patronyme le plus répandu en France, je n’y puis rien, et c’est mon nom, le seul. En fait c’est celui de mon père, celui que j’ai reçu à ma naissance, car tous les enfants – du moins dans nos sociétés occidentales – portent le nom de leur père, pour peu qu’on le connaisse. Dans le cas contraire, ils portent le nom de leur mère, c’est-à-dire celui de leur grand-père maternel – ou celui de leurs parents adoptifs quand on ne connaît ni leur père ni leur mère, autrement dit, ils portent le nom de leur père adoptif, car la mère n’a aucun droit à transmettre son nom, et d’ailleurs comment le pourrait-elle puisqu’elle n’en a pas ?

J’ai toujours pensé qu’il serait plus logique et plus raisonnable de donner à un enfant le nom de sa mère – si elle en avait un ! – car sauf si elle a abandonné anonymement son rejeton à la naissance, on sait toujours le nom de celle qui a mis un enfant au monde. Quant au père, avant la découverte de l’ADN et les tests de paternité, on n’était sûr de rien.

Donc je m’appelle Martin, étant née d’un père et d’une mère légitimement unis par les liens du mariage, et je n’ai aucune raison de supposer que celui que j’ai toujours considéré comme mon père ne l’était pas. Quant à ma mère, je suis sûre que c’était ma mère, mais comme elle n’avait pas de nom par elle-même, elle ne risquait pas de me le donner. En épousant mon père, elle avait plus ou moins renoncé à ce qu’on continue à l’appeler du nom du sien, de Mademoiselle Mathieu elle était passée à Madame Martin et cela ne semblait pas la gêner.

Mon prénom, c’est Pascale. Pas très original non plus, si l’on considère que je suis née un lundi de Pâques. Mes parents n’avaient pas beaucoup d’imagination. Petite, j’aurais préféré Pâquerette, mais à soixante-dix ans passés, ça ferait un peu « cucu la praline ». Et puis enfin, Pascale, c’est un peu plus chic que tous ces prénoms en vogue à l’époque de ma naissance, ces Martine, Monique, Nicole, Marie-France, Marie-Claude, Marie-Thérèse ou Anne-Marie, comme s’appelaient la moitié des filles de ma classe.

Je suis Pascale Martin. C’est mon nom ! Que je garderai toute ma vie. La loi française en effet est formelle. Tous les citoyens, hommes et femmes, conservent à vie le nom qui leur est donné sur leur acte de naissance. C’est l'une des lois les plus vieilles de notre pays, la « Loi du 6 fructidor an II (23 août 1794) », stipulant qu'aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance. Encore faudrait-il que la loi soit respectée ! En dépit de plusieurs mariages, deux pour être précise, c’est toujours le nom qui figure en premier sur ma carte d’identité. Celui-là au moins, personne ne le changera. Puisque c’est la loi en France, une femme conserve toute sa vie son patronyme (= nom du père, ça vient du grec !). Du moins le croit-elle. Et quand elle se marie ? Alors là, c’est une autre histoire. Nous y reviendrons.

Dans certains pays, comme l’Espagne, la femme porte le nom de son père, de sa mère et y ajoute le cas échéant celui de son époux. Cela fait des noms à rallonge dont on se souvient difficilement. Les Allemands, il y a encore une trentaine d’années, étaient impitoyables. Une femme qui se mariait adoptait automatiquement le nom de son mari, elle changeait donc de nom, et le conservait en général en cas de divorce, comme en donne l’exemple l’actuelle chancelière. Beaucoup ignorent qu’elle ne porte ni le nom de son père, ni celui de son époux, mais celui d’un premier mari d’avec lequel elle a divorcé depuis longtemps ! Quand on fait carrière dans la politique, il vaut mieux, pour être connue, ne pas changer de patronyme trop souvent, ça ne ferait pas sérieux, les gens vous oublient ou vous confondent avec une autre ! Il en va de même si l’on est une scientifique internationalement reconnue, une artiste de renom, une avocate célèbre ou une écrivaine en herbe, comme moi. Car il faut du temps pour se faire un nom, alors, si l’on en change tous les jours au gré de sa vie sentimentale… Bref, vous l’avez compris, quoi qu’elle fasse, la femme est toujours définie par rapport à un être du sexe masculin, son père, son mari, ou son ex.

Mais en Allemagne, où j’habite, pays quand même un peu plus avancé que la France, qui vit encore sous le régime du Code civil promulgué sous le règne d’un certain Napoléon Bonaparte, pas particulièrement féministe, il y a eu des changements. Une loi, adoptée il y a une trentaine d’années et adaptée aux exigences de l’égalité des sexes devant celle-ci, permet aux couples qui se marient d’opter pour le nom de famille qui leur convient et qu’ils transmettront à leur progéniture. Ce peut être celui de l’époux ou de l’épouse. Neuf fois sur dix, c’est encore le nom du mari qui l’emporte et celui de la femme qui est sacrifié. L’époux ne renonce à son patronyme que s’il a des raisons personnelles de le faire – désir de rupture avec sa propre famille d’origine –, ou si son nom prête à sourire, par exemple s’il s’appelle Rindfleisch, qui signifie viande de bœuf, et qu’il est devenu végétarien, ou encore si celui de l’épouse porte une particule qui l’ennoblira d’un coup. Le partenaire qui renonce à son patronyme a la possibilité de l’accoler à celui du partenaire choisi comme nom de famille et des futurs enfants, Dans ce cas, le nom patronymique est placé devant le nom adopté comme nom de famille. Ainsi il prendra un double nom. Lorsqu’un Monsieur Meyer, par exemple – nom aussi répandu en Allemagne, avec des graphies diverses, que Martin en France – épouse une demoiselle von der Wiese, il s’appellera désormais Meyer von der Wiese, ce qui signifie Fermier de la prairie (loin de moi l’idée de lui contester ce nom prétentieux ! C’est un exemple, il y en aurait d’autres plus ou moins drôles), tandis que les enfants de ce couple ne porteront que le nom à particule de leur mère.

Autre particularité : chaque partenaire a la possibilité de conserver son patronyme s’il le désire. Le couple fixera alors d’un commun accord celui de leurs deux noms qu’ils transmettront à leur progéniture. S’ils ne peuvent pas se mettre d’accord sur ce point, je leur déconseillerais fortement de se marier ! Il n’en a pas toujours été ainsi. À l’époque où j’ai épousé pour la première fois un Allemand, on ne m’a pas demandé mon avis, et même si on me l’avait demandé, il est probable que je me serais conformée à la loi, n’en connaissant pas la teneur exacte. La femme en se mariant prenait définitivement le nom de son mari. Ce qui signifiait qu’elle pourrait même le garder en cas de divorce, comme l’a fait l’ex-chancelière Angela Merkel.

Pour ma part, à cette époque lointaine je ne m’en plaignais pas, je faisais comme tout le monde, je n’avais pas encore réfléchi au problème. J’étais heureuse, et peut-être même fière, comme sans doute la plupart des jeunes épousées, d’adopter le nom de mon mari en même temps que j’avais droit au Madame. Ce nom, Fischermann, était un peu plus original que Martin et avait de plus une consonance bien germanique. Puisque j’avais choisi un Allemand, autant faire les choses à fond.

Pascale Fischermann, ça ne sonnait pas trop mal. Contrairement à ce qui se passe dans les pays slaves, où Anna épousant Karenine devenait Karenina, il n’y a pas en allemand de version féminisée d’un patronyme, donc pas de Fischerfrau. Seulement voilà : alors que la loi française octroyait généreusement la nationalité française à une étrangère qui épousait un Français, même si elle ne parlait pas français elle-même, sans qu’elle soit obligée de renoncer à la sienne, et pas davantage à son patronyme, puisqu’en France la loi du 6 Fructidor An II s’appliquait, l’Allemagne était un peu pingre dans ce domaine. Vous souhaitez être Allemande, volontiers, on vous accorde la nationalité avec le mariage, mais vous ne serez plus Française ! J’étais incapable de ce reniement. Française je l’étais par mes racines, mon éducation, ma mentalité, ma façon d’être et de m’exprimer. Jamais je ne parlerais l’allemand à la perfection pour faire oublier que ce n’était pas ma langue maternelle, je n’arriverais jamais à me glisser dans la peau d’une autre. Rien ne pourrait effacer ma naissance, mes années d’enfance ; devenir Allemande en cessant d’être Française, c’était porter un masque, me déguiser. D’autres l’ont fait, des enseignantes qui voulaient devenir fonctionnaires, ou tout simplement, comme c’était aussi mon désir, pour pouvoir exercer leur droit de vote dans le pays où elles vivaient. Tant pis, je serais condamnée à ne pas donner mon opinion, à ne pas choisir mes représentants, à devenir une femme sans qualités, et ceci doublement : en Allemagne parce que je n’en étais pas citoyenne, en France parce que je vivais trop loin pour voter directement et que je n’avais plus personne à qui donner une procuration ! La loi est dure. Je n’ai jamais compris pourquoi, alors que c’est une pratique courante dans bon nombre de pays démocratiques – dont justement l’Allemagne – la France n’a jamais consenti à accepter le vote par correspondance, pas plus générateur de fraudes que n’importe quelle pratique électorale. Il suffirait de veiller à ce que les choses se fassent en règle. Mais c’est un autre chapitre, sur lequel je laisse aux femmes et aux hommes politiques le soin de se pencher. Il est probable que le problème sera résolu avec le scrutin par voie électronique.

(La suite dans "Porte ouverte"
du Porte-Plume n°98 d'Octobre)

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