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RETROUVAILLES
Madame Friquet Argane
7, rue du Pactole
74400 Argentière |
à |
Monsieur et Madame Petissou
8, rue de la Bourse
87160 Arnac-la-Poste
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Argentière le 5 avril 2025 |
Bonjour Serge et Colette !
Vous souvient-il de la communale ? En particulier de ce chewing-gum qui passait de bouche en bouche et finissait collé sous le plateau d’une table, en vue d’une utilisation ultérieure ?
« C’était dégoûtant ! » me direz-vous !
Mais, quid de la piécette ramassée au coin de la pissotière, qui reparaît sur le comptoir de la boulangerie ? Pauvre boulanger dont la fortune est bâtie sur un tas de ferraille !
Nous manipulons de l’argent sale qui certes, n’a pas d’odeur ! Pour sûr, il existe des moyens de le blanchir, mais ce n’est pas donné à tout le monde !
Vous, comme moi, ne roulons pas sur l’or et ne jetons pas l’argent par les fenêtres ; peu importe, plaie d’argent n’est pas mortelle !
Tous trois, ne sommes pas nés avec une cuillère en argent dans la bouche et avons connu des moments difficiles. Néanmoins, nous avons su nous en sortir grâce à notre travail.
Certes, étudiants, les fins de mois nous voyaient souvent sans un sou vaillant et raides comme des passe-lacets ! Services et petits boulots au noir étaient alors les bienvenus !
La roue a tourné…
Nous voilà maintenant à l’heure de la retraite et nos comptes en banque ne sont plus dans le rouge. L’argent étant fait pour circuler, nous pouvons nous offrir sorties et voyages, récompenses d’une vie de labeur.
Néanmoins, nos plus grands plaisirs nous sont désormais procurés sans bourse délier. La plus grande richesse nous est procurée par nos enfants et petits-enfants.
Venons-en maintenant à l’objet de ce courrier : vous étiez présents lors de la célébration de nos noces d’argent, nous ferez-vous le plaisir de partager les festivités afférentes à nos noces d’or ?
Dans l’attente d’une réponse que j’espère positive, soyez assurés de la pérennité de notre amitié.
Votre amie
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Serge Petissou
8, rue de la Bourse
87160 Arnac-la-Poste |
à |
Madame Friquet Argane
7, rue du Pactole
74400 Argentière |
Arnac-la-Poste le 9 avril 2025 |
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Bonjour chère amie !
C’est avec un plaisir mêlé de surprise, que je vous lis à nouveau, depuis ce temps où nous n’avons pas échangé la moindre nouvelle.
Avant que de répondre à votre aimable invitation, je dois vous dire bien des choses, et pas forcément des plus réjouissantes !
Bien sûr que je conserve un souvenir intact et attendri de nos jours d’écoliers. Outre les précieux souvenirs, j’ai conservé en l’état l’un de ces fameux chewing-gums volés au gros Albert, rappelez-vous, lequel était équipé de quelques caries bien originales. C’est peu de dire qu’il a bien séché, peut-être un peu à notre image.
Vous parlez de retraite et de sécurité. Aucune de ces deux ne m’est assurée, à l’âge que j’ai. Lauréat des cancres, titre discerné par notre instituteur, monsieur Dupotron, j’ai réussi à passer cependant des diplômes de haut niveau, outre le permis de conduire. Mes formations m’ont mené dans les îles, en compagnie de mon épouse, quand j’ai quitté Lille et mon ami Rouget. Là-bas, j’ai un peu œuvré au noir, dans la mode, car je n’ai pas immédiatement trouvé d’emploi. J’ai fait plusieurs petits boulots : couleur de crayons, garde-barrière dans un aéroport…
Après avoir galéré pendant bien des années, j’ai fait fortune dans la friture, sur toute la ligne. En effet, mes études de spécialiste en oléagineux m’ont fait rencontrer des huiles richissimes et essentielles qui m’ont embauché comme directeur d’une usine de fabrication de chips.
Au début, une vie d’ange ! Grâce à une invention assez révolutionnaire, je dois dire, la piscine à bain d’huile, j’ai obtenu la palme de la créativité.
Je me suis marié sept fois avec la même femme qui m’a définitivement promis fidélité tout récemment. Pendant toutes ces années, elle a eu le loisir d’épuiser moi-même et ma petite fortune. Je me suis donc retrouvé fauché comme les blés.
Il me reste pour toute fortune un Zodiac dont la poupe est gonflable, un cygne et… ma femme, Colette, qui est devenue bavarde comme une pie !
Je tenterai de venir à la rame, mais le voyage risque d’être long et pénible, voire périlleux, vu mon âge, vous le savez bien.
Aussi, proposez-moi une date de retrouvailles, afin que je puisse programmer la date de mon périple. En rassemblant quelques maigres économies, je pourrai éventuellement prendre deux billets aller (pour le retour, rien de sûr !) à la société de transport de conserves Boko-Aram.
Tu seras surprise à la lecture de cette lettre... d’aveu, car j’ai tu tout cela, lors de notre dernière visite. ll fallait pourtant que je parle de ma situation, tant d’années plus tard.
Excuse-moi donc d’avoir été aussi long, mais je n’ai pu résister au désir de donner quelques nouvelles sommaires, afin de tempérer ton étonnement, de masquer ta surprise au moment de nos retrouvailles.
Il me revient soudain cette anecdote : je me revois, assis sur le banc de derrière, à te pincer discrètement le derrière. Ça te faisait rire parfois. Pas toujours. Tu étais très (trop) sérieuse. Tu m’appelais Le crabe. J’aurais toujours aimé que mes parents
me prénomment Omar.
À bientôt donc (enfin…), chère Argane. J’informe sans tarder ma septième et unique épouse Colette ; ça lui laissera du temps pour nous tricoter des gilets de sauvetage !
Je reste positif, combattif, optimiste et enjoué.
Bien à toi.
Avec mon amitié.
Serge
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