Dubourg daniel 6Contes juillet2025

Par Daniel DUBOURG

LA BOÎTE À BRUITS

       Robert habite une petite ville. Tout en haut, perché sur les plis de la colline, au bord des vignes, il y a le vieux village. Tout en bas, les maisons les plus neuves, les magasins les entrepôts et quelques usines sont posées tout près de la grande route.

       En haut, c'est bien calme, au coeur des vieilles maisons de pierre et entre les rues étroites qu'il suffit de prendre pour se retrouver sur le plateau et dans la forêt. De là-haut, on voit très loin, jusqu'à l'horizon.

       En bas, c'est moins calme. À cause de la grande route toute droite où passent sans arrêt toute sortes de véhicules, depuis le petit matin jusque bien après la tombée de la nuit. On y croise des automobiles, des camions, des autobus, des motos, des motocyclettes, quelques tracteurs et parfois, un camion de pompier, une ambulance ou une voiture de police ; sans compter les avions et les hélicoptères qui traversent le ciel ; sans compter tous les bruits bizarres qui sortent parfois de gros cubes en métal…

       Robert est habitué au bruit. D'ailleurs, quand il marche sur le trottoir pour aller à l'école, il porte sur les oreilles un drôle de casque dans lequel il écoute de la musique; peut-être pour ne pas entendre le bruit de la rue. Mais souvent, il tourne le bouton si fort qu'il n'entend plus que la musique qui crie et lui casse les oreilles. Lorsqu'il retire son casque, il ne supporte pas les bruits, les bourdonnements et les sifflements qui l'entourent. Alors, très vite, il remet sur ses oreilles son drôle d'appareil qu'il ne quitte presque plus, sauf en classe et à la maison, parce que ses parents et sa maîtresse d'école lui défendent de l'utiliser quand il faut écouter et se parler.

« Tu vas finir par être sourd, par ne plus rien entendre du tout, à cause de ce maudit appareil ! lui répètent-ils sans cesse »

       Mais Robert n'en a que faire et, souvent, il lui arrive de s'endormir avec lui qui lui presse la tête comme des tenailles. A force de faire, il finit par ne plus entendre les autres, pas plus qu'il n'entend les bruits de la rue !      

       Un soir, au retour de l'école, Robert fait un crochet par la rue des Bons Enfants. Celle-là, elle est bien calme, souvent déserte. On y croise, de temps en temps, une voiture, un vélo, une motocyclette. Bien plus souvent, des chiens et des chats en promenade, échappés ou en maraude.

       Dans la nuit qui tombe doucement, le gamin voit s'avancer une vieille dame qu'il ne connaît pas. Il ne l'a jamais vue. Elle a une drôle d'allure avec ses cheveux blancs, longs et ondulés. Elle ne fait pas son âge : un visage jeune sans vraiment de rides et un pas alerte. Comme il est poli, il dit bonjour. La femme répond par un sourire et lui tend une petite boîte en bois qui a l'air très vieille.

       - C'est une boîte à bruits ! Je te l'offre.
       - Mais, qu'est-ce que je vais en faire ?

       - C'est comme un jouet et tu verras que cela va vite te plaire. À chaque fois que tu te rendras au bord de la route, en bas, il te suffira de soulever son couvercle et, aussitôt, les bruits que tu entendras viendront se poser dedans. Lorsque tu en auras attrapé suffisamment et que la boîte seras bien pleine, reviens me voir. Je serai toujours là où tu penses me trouver.

       À peine le gamin a-t-il soulevé le couvercle que la vieille dame  disparaît. Et il reste là, étonné, ne comprenant pas ce qu'il lui arrive.      

       Le lendemain matin et les autres jours, à son retour de l'école, Robert marche tranquillement sur le trottoir et prend bien soin d'ouvrir sa boîte pour en rabattre aussitôt le couvercle. Il est curieux de voir si ce qu'a dit la vieille dame est vrai. Comme c'est drôle ! Les bruits s’engouffrent dedans, un à un, et s'éteignent, réduits au silence. Et à chaque fois, la rue devient un peu plus calme.

       - Je recommencerai demain ! pense Robert. C'est trop amusant!

       De retour dans sa chambre, curieux et impatient, le garçon ouvre et referme la petite boîte. Aussitôt, les bruits ressurgissent tous ensemble, comme s'ils voulaient s'échapper. Alors, le garçon s'empresse de rabattre le couvercle.       

        Le jeu est si original que, chaque jour, à la sortie de l'école, Robert s'empresse de rejoindre la grand-route pour y faire sa moisson de bruits. C'est si surprenant de voir tant de voitures, de camions, de motos et de motocyclettes circuler sans cesse et en silence !

       Bientôt, la fameuse boîte est pleine à craquer. Un soir, dans sa chambre, le garçon dresse la liste de tous les bruits qu'il a capturés. D'ailleurs, lorsqu'il pose une oreille contre le couvercle, il a l'impression que les bruits entassés et en colère ne cessent de gronder et poussent pour tenter de s'échapper. Mais, prévoyant, Robert a pris la précaution d'enrouler un large élastique autour de la boîte. Il est vraiment l'heure d'aller retrouver la vieille dame…

       Il se fait tard. Le gamin fatigué s'endort de bonne heure, oubliant son casque au pied de son lit. Son sommeil est bercé de chants d'oiseaux et de petits bruits de la nature.

*

*            *

       Ce matin, le gamin n'a pas oublié d'emporter avec lui la fameuse boîte. Le soir, après la classe, il décide d'aller à la rencontre de la vieille dame pour la lui remettre. Il ne sait trop quel chemin prendre et choisit de se diriger vers la forêt, en suivant le sentier des Cent Livres quand il la voit s'avancer vers lui, surgie de nulle part !

       - Ah ! te voilà, bonhomme ! As-tu fait bonne chasse, au moins ?
      - La boîte est pleine jusqu'à ras bord de toutes sortes de bruits ! répond le gamin, en la lui tendant. Qu'est-ce que vous allez en faire, madame ?
      

     Sans répondre, la vieille femme aux longs cheveux d'argent tire de sous sa pèlerine un bidon qui ressemble à un pot au lait et y plonge la boîte qu'elle secoue.

       - Voilà ! Ils sont tous noyés car, au fond de mon pot, j'ai versé un peu d'eau de la Fontaine du Silence qui coule derrière ma maison.
        - Je pourrai venir la voir, votre fontaine ? demande le gamin.

     - Tu n'auras pas besoin de marcher ni même d'aller loin. Chaque soir, avant de t'endormir, il te suffira de baisser les paupières et tu y seras. Tu vois, ce n'est pas bien compliqué... Au fait, comment vont tes oreilles ?

      - Oh ! Ça va beaucoup mieux ! D'abord, j'ai oublié mon casque sous mon lit depuis plusieurs jours. Et maintenant, quand je dors, j'entends dans mes rêves des chants d'oiseaux et toutes sortes de bruits de bêtes et de forêt. Des fois, même, le vent vient me parler et me dire des poésies…

       - C'est merveilleux ! Je vais garder précieusement cette boîte, car beaucoup de gens en ont besoin, réplique l’étrange vieille dame. Mais si, un autre jour, trop de vacarme te casse les oreilles, reviens me voir. Je te la confierai à nouveau. N'oublie pas : je serai toujours là où tu me cherches. Au revoir !

       - Au rev’...! fait Robert qui ne finit pas son mot.
      

       La vieille dame à la boîte s'est éclipsée sans un bruit.

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