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Par Marie-Dominique COLOMBANI

Ne perds donc pas ton temps !

"Ne perds donc pas ton temps !", s'exclame le parent aussi indigné que surpris par l'attitude de son enfant qui, les mains vides et un vague sourire aux lèvres, se balance mollement sur sa chaise. " Tu as des choses à faire au lieu de rêvasser !"
Le temps est en effet notre bien le plus précieux. Le temps qui passe, c'est la vie qui s'écoule, inexorablement ; et en avoir conscience est le propre de l'homme. L'idéal, le désir, le but de tout homme, c'est de bien utiliser le temps, ne serait-ce que pour en extraire du bonheur. Le temps court, comme l'eau de la rivière, et il est impossible de le rattraper.
Pourquoi, dès lors, les spécialistes de l'enfance mettent-ils en garde les parents organisant un "emploi du temps" serré de leurs rejetons pendant leur jour de repos, où se succèdent, selon les semaines, handball, piano, visite à mamie, anniversaire du copain, table de multiplication, etc...? Pourquoi affirment-ils qu'il est bénéfique pour l'enfant de connaître des moments d'ennui ?
L'apprentissage du silence et de la solitude est essentiel dans la construction d'une personnalité. Sentir le temps passer, laisser les sensations s'approfondir, les idées émerger, ce n'est certes pas perdre son temps ! L'enfant dont le "temps libre" n'est justement pas libre mais contraint, bourré d'occupations l'empêchant d'être seul avec lui-même, risque fort de devenir l'adulte  ayant la hantise du temps vide et du silence, désemparé dans les magasins ou les ascenseurs dépourvus de musique de fond, et qui, de la voiture à l'appartement, met en branle, sans solution de continuité, annonces, commentaires et images. En somme, l'homme du "divertissement" selon Pascal, se définissant non par ce qu'il est mais par ce qu'il fait,  incapable de rester seul dans une chambre et donc incapable de penser.
L'homme du "divertissement" perd son temps par peur de le perdre : en voulant faire beaucoup, et vite, il se prive de l'essentiel. Il ne permet  même pas à ses sens de jouir de ce qui s'offre à eux : la forme et la couleur des nuages, le chant de la brise dans les branches, le parfum du tilleul en fleurs, la rugosité du rocher, la fleur de glycine doucement mâchée. Il ne laisse pas s'ouvrir en lui les matrices de la réflexion créatrice : l'émerveillement et la curiosité.
L'esprit, comme la terre, a besoin de temps d'inaction et de repos. L'esprit, comme la terre, s'épuise quand il est sollicité sans répit. Le temps de la jachère est paradoxalement le temps de la fertilité heureuse. 
Je laisse un moine du onzième siècle conclure à ma place par ces mots qui sont à la fois invitation et promesse : "sedebit solitarius et tacebit : levabit se super se". "Il s'assiéra solitaire et se taira : il s'élèvera au-dessus de lui-même"

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