Le prince charmant
Lorsque j’étais très jeune, mes copines d’école (à cette époque, il n’y avait que des filles dans mon école) adoraient les jolis contes de fées avec des princesses et rêvaient du prince charmant. Moi pas.
Il faut dire à ma décharge que j’ai été élevée (ma mère était nourrice à cette époque) avec un garçon de deux ans plus âgé que moi, qui m’a abreuvée d’histoires de cowboys et d’indiens. À quatre ans, je savais qui étaient Davy Crockett, Catamount et Kit Carson et disons le tout net, ils me faisaient beaucoup plus rêver avec leurs vestes à franges, leur bonnet de trappeur et leurs colts, que les playboys moyenâgeux portant des collants et des justaucorps à paillettes.
D’ailleurs tout me paraissait débile dans ces contes. La princesse, généralement orpheline, qui passait les trois quarts du récit à souffrir mille avanies sans chercher à se rebiffer (quelle gourde !) et chantait des chansons gnangnans tout en espérant l’arrivée du bellâtre, me tapait sur les nerfs. Et lui, le prétendu héros, où se trouvait-il pendant tout ce temps ?
Au début il était chez papa et maman, dans un pays lointain. Quand ils lui demandaient de trouver une épouse, il constatait vraisemblablement qu’il n’y avait que des mochetés dans son royaume, car il décidait d’aller prospecter à l’étranger. Le voilà donc partant avec son cheval blanc et son improbable costume de carnaval (Reconnaissez que si Kit Carson avait dû livrer bataille contre les comanches, sanglé dans un pourpoint avec des manches bouffantes et avec une fraise en dentelle autour du cou, les américains d’aujourd’hui porteraient encore tous des coiffes avec des plumes !)
Bref, il finissait par arriver dans le royaume où vivait la princesse de ses rêves. Ah oui, j’oubliais, ils s’étaient vus en rêve ! Seulement il avait mis si longtemps à faire la route (il devait sans doute faire de nombreuses pauses pour laver ses collants et refaire son brushing) qu’elle était devenue inaccessible. Soit elle était morte, soit elle était endormie pour cent ans, soit elle était enfermée à double tour. C’était généralement à cet instant que je me frottais les mains en me disant: « Enfin, il va y avoir de l’action ! Il va tout faire péter ! ».
Erreur ! Tout s’arrangeait miraculeusement pour qu’il puisse accéder sans problème auprès de la belle. Même les épines s’écartaient de son chemin pour éviter d’abîmer son joli pourpoint bleu azur. Du coup, son épée ne sortait jamais de son fourreau. Pas de bagarre, pas d’héroïsme, rien. Il arrivait en pays conquis, en proclamant « c’est moi le héros » et on le laissait entrer. Une véritable daube, avouez !…
Bien que sérieusement échaudée, j’espérais encore que l’auteur allait se rabattre sur le mélodrame. Le prince, prenant conscience de son inutilité flagrante en découvrant sa belle plongée dans un coma irréversible, allait peut-être se suicider de douleur, ou décider de pourchasser toute sa vie le méchant de l’histoire pour exercer une vengeance sans pitié… Pas du tout !
Parce qu’en général, quand le prince arrivait, le méchant (ou la méchante) avait déjà été puni. Il était tombé dans un trou, ou il avait été transformé en pierre par une fée qui, avouons-le, aurait pu faire son job un peu plus tôt. Alors à quoi servait-il, ce fichu prince ? Pourquoi avait-t-on éprouvé le besoin d’inclure un personnage aussi insignifiant dans une histoire où il ne faisait que chevaucher son fier coursier ?
C’est là que nous atteignons le sommet du romantisme, mais j’avoue que je ne l’ai compris que bien plus tard. Trouvant sa princesse si profondément endormie qu’il la supposait morte, éclatait-il en sanglots et organisait-il de touchantes funérailles à la mesure de son amour perdu ?
Que nenni ! À ce moment de l’histoire, on découvre au contraire avec horreur que le prince charmant était nécrophile ! Cet ignoble pervers enlevait alors son chapeau à plume, s’approchait du supposé cadavre… et lui roulait une pelle en espérant sans doute plus, si affinités. Mais pas de bol pour lui, la belle se réveillait !
Toute bonne féministe se frotte alors les mains en imaginant la tarte magistrale que la jolie princesse allait retourner à ce malotru qui s’est introduit dans sa chambre avec des intentions peu claires (ou justement un peu trop). Mais là encore, grosse déception.
Cette buse de princesse ne s’étonnait pas du tout de le voir dans son lit ! Elle ne lui faisait même pas remarquer que la situation était un peu gênante, elle lui souriait bêtement. Elle aurait pu se dire qu’après des années de sommeil forcé, elle allait enfin pouvoir profiter de la vie, voyager et sortir en boîte pour s’éclater un peu… Eh ben non ! Elle acceptait simplement de partir avec lui pour faire beaucoup d’enfants. On s’amuse comme on peut, dans la vie, mais avouez que pour les princesses, ça manquait singulièrement de fun !
Ah, pendant que nous y sommes, n’oublions pas d’inscrire au Panthéon des princes désastreux cette andouille de Prince qui faisait le tour de son royaume une godasse à la main en espérant reconnaître le pied de sa belle. Comme s’il avait passé toute la durée du bal à ne regarder que ses orteils quand il dansait avec elle ! Puisqu’il ne s’agissait pas d’un bal masqué, pourquoi ne lui était-il pas venu à l’idée qu’il lui suffirait simplement de regarder toutes les participantes dans les yeux s’il voulait la reconnaître !
Cependant, soyons réalistes ! La palme du prince le plus ringard revient sans conteste à celui qui rencontre la petite sirène. Elle le sauve de la noyade, sacrifie sa voix, souffre mille douleurs atroces quand elle marche sur ses nouvelles jambes et lui, que fait-il ? Il en épouse une autre !
En résumé, si la question est « Que ferez-vous si vous trouvez le prince charmant ? », je ne pourrai vous faire que deux réponses :
Au mieux, si je suis bien disposée, je lui indiquerai les horaires du vol le plus rapide pour rentrer dans son pays lointain où il pourra se taper tous les cadavres qu’il voudra.
Au pire, je ressortirai ma panoplie de Davy Crockett et je lui démontrerai qu’une femme armée d’un colt a plus de chances de s’en sortir dans la vie que si elle attend l’aide d’un prince, charmant ou pas.
Mais dans un cas comme dans l’autre… je garderai son cheval.
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