Durand nicole 2Coup d oeil avril2025

Un extrait du roman d'un(e) auteur(e)
Aujourd'hui, Nicole DURAND avec...

 

L'ÉNIGME DU FOND D'ENFER

Dans la forêt communale de Lormeville, les corps de deux femmes, visiblement assassinées, ont été retrouvés dans une voiture garée près du lieu-dit « le fond d’enfer ».
    
Les victimes ayant toutes deux été employées, l’une comme professeur, l’autre en tant qu’infirmière, dans le collège Jean Moulin, le capitaine Luc Lubowski, et son adjointe, le lieutenant Anne Roman, ont été chargés de mener une enquête au sein de l’établissement.

En regagnant son domicile, Anne fit un détour et s’arrêta à la boulangerie de son quartier. Avec, toujours l’impression obsédante et angoissante d’être suivie et observée, elle se retourna plusieurs fois, à l’improviste, mais ne vit, derrière elle, aucun des suspects connus et ne remarqua aucun individu à l’allure ou au comportement insolites.
   
Dans la boutique, c’était la queue, évidemment, comme d’habitude vers midi. Près du comptoir, sur un présentoir, était exposée, comme chaque jour, une pile d’exemplaires du quotidien local. En première page, s’étalait ce titre en gros caractères : « A Lormeville, le collège Jean Moulin en deuil ! », avec une photo de la cour de l’établissement, sans doute prise au moment de la minute de silence demandée par le principal. On y voyait ce dernier, bras croisés, tête basse, visage grave et recueilli, entouré par quelques professeurs, face à un important groupe d’élèves. Aux pieds des assistants, on apercevait la masse des hommages posthumes jonchant le bitume.
   
La jeune fille acheta un journal en même temps que sa demi-baguette et, dès qu’elle fut installée chez elle, l’ouvrit pour lire l’article auquel renvoyait l’encart de la couverture. Deux photos l’illustraient. Une, en buste, du chef d’établissement – avec la légende : « Le principal du collège, Monsieur Gary Aubin, a exprimé sa profonde consternation, ainsi que celle de tous les élèves et de l’ensemble du personnel » – et une autre montrant, en plan rapproché, une partie des menus hommages déposés par les élèves.
     
Le texte qui suivait résumait le discours de circonstance prononcé par le principal, et évoquait la minute de silence demandée. Mais Anne tressaillit à la lecture des dernières lignes : « (...) Un peu plus tard, l’unité locale de police judiciaire s’est rendue sur place, et s’est livrée, pendant de longues heures, à de nombreux interrogatoires, dans le cadre de l’enquête. »
    
Après ça, aujourd’hui, fini la tranquillité ! Ils vont tous être dans le secteur à guetter, prêts à nous tomber dessus, comme des chiens sur un os ! Qui a bien pu cafter ? se dit-elle, furieuse, avant de réaliser que le nombre de gens au courant rendait le secret pratiquement impossible à garder. D’autant plus qu’aucune consigne n’avait été donnée à ce sujet. Et quand bien même... c’eût été peine perdue.
      
Comme d’habitude, elle déjeuna devant les informations télévisées, et eut alors la nouvelle désagréable surprise d’assister à un reportage de la chaîne régionale, reproduisant quelques extraits du discours prononcé par le principal, avec un zoom de la caméra sur les objets déposés en hommage dans la cour, et concluant, comme le journal local, par une mention de l’enquête effectuée sur place.
    
Un peu plus tard, la Clio du service se garait au pied de l’immeuble, et Anne y retrouva Luc, le visage sombre.
     
— Tu as vu l’article et le reportage ? demanda-t-elle, en s’installant à ses côtés et refermant la portière.
     
— Oui, grommela-t-il... Le commissaire m’a montré le canard arrivé ce matin sur son bureau... C’était inévitable, et il fallait s’y attendre, mais n’empêche... Ça ne va pas nous faciliter la tâche ! Probable que tout à l’heure, des charognards vont se jeter sur nous et nous assaillir de questions... Déjà qu’ils font l’assaut du commissariat. Mais là, au moins, c’est Nergy et le commissaire qui gèrent, délivrent les infos au compte-goutte, selon les besoins de l’enquête, et nous permettent, à nous, d’avoir la paix... En tout cas, si des journalistes nous tombent dessus, surtout, tu connais la consigne : motus et bouche cousue ! Aucune déclaration ! Secret professionnel !
     
— Bien sûr ! répondit Anne. Ça va sans dire. Tu peux compter sur moi !
   
Inévitablement, comme prévu, en arrivant au collège, ils trouvèrent un petit groupe de reporters battant de la semelle devant la cour. Quelques-uns portaient un appareil photo en bandoulière, et tous se précipitèrent à leur rencontre, sans même leur laisser le temps de descendre de voiture.
    
— Avez-vous des déclarations pour la presse ? s’exclama l’un d’eux, brandissant un micro, tandis que crépitaient les flashes de ses confrères photographes.
     
— Non, aucune ! riposta Luc, visage crispé, sans les regarder, en ouvrant le coffre pour y prendre le matériel.
   
Mais la petite troupe agglutinée autour des policiers les escorta, gênant leur progression, jusqu’à la cour. Le jeune capitaine frémissait de colère rentrée.
     
Le même intrus qui les avait assaillis dès leur arrivée mit un comble à sa fureur, en agrippant Anne par la manche et lui fourrant son micro sous le nez.
    
— Et vous, Mademoiselle, vous n’avez rien à nous dire ? Allez, un petit effort ! Soyez sympa !
    
Lèvres pincées, elle se contenta de se dégager d’un geste brusque, sans un regard. Mais Luc, blême de rage, saisit l’individu par le collet, en rugissant :
      
— Dégage ! Fous le camp, Ducon, tu m’entends ? Ou je te fais avaler ton micro !
  
Là-dessus, la petite troupe recula prudemment, et observa, désormais, une distance respectueuse, tandis que le journaliste molesté, éberlué, réajustait le col de sa veste.
      
— Tu y es allé un peu fort, quand même ! chuchota Anne. J’espère qu’il n’y aura pas de retombées !
       
— M’en fous ! C’est le seul langage que comprenne ce genre de sangsues ! C’est comme ça qu’on leur apprend les bonnes manières ! grogna Luc entre ses dents, en pressant rageusement le bouton du parlophone, avant de s’annoncer, d’une voix encore altérée par la colère, quand le micro grésilla.
     
Il poussa la porte dès que le dispositif bourdonna, et les policiers s’empressèrent de s’engouffrer dans la cour, sous les éclairs des flashes crépitant derrière eux.
    
Ils se rendirent, cette fois, tout droit au secrétariat particulier du principal, sans passer par la case « Accueil », et Luc demanda à la secrétaire de leur remettre les clés de la salle de réunion, et de leur imprimer les emplois du temps des différentes classes dans lesquelles Julie Queyras avait enseigné, avec les numéros des salles correspondantes.
    
— C’est que... objecta la secrétaire, embarrassée, il faudrait d’abord que j’en réfère à monsieur Aubin !
      
Luc ferma les yeux un instant, en inspirant profondément.
      
— Ecoutez, Emma – Vous vous appelez bien Emma, n’est-ce pas ? – s’exclama-t-il, avec un calme apparent mais chargé de menaces, votre patron nous a donné toute latitude pour mener notre enquête, et vous a déjà demandé de vous tenir à notre disposition pour nous faciliter la tâche, et nous remettre tous les documents utiles ! Alors, il n’est pas nécessaire de le déranger à chaque fois ! D’ailleurs, l’enquête est menée sous l’autorité du procureur, et si on doit rendre des comptes, c’est à notre seule hiérarchie. Alors, vous allez nous donner ce qu’on vous demande, et éviter de nous faire perdre notre temps en formalités inutiles ! Sortez-nous ces plannings immédiatement, je vous prie !
     
— Oui, oui, Monsieur ! Tout de suite ! bredouilla la jeune femme, en roulant des yeux effarés derrière ses grosses lunettes.

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