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HENRI BROCART
Les clichés ont la peau dure. Quand on parle d’un mathématicien, on imagine immédiatement une sorte de rat de bibliothèque asthmatique portant des lunettes, perdu au milieu de ses équations et formules alambiquées. Quand on parle d’un militaire, on visualise sans effort un monolithe capable de traverser la jungle suspendu par les doigts, mais pas d’avoir la moindre initiative. Quand on parle d’un météorologue, c’est en général un farfelu perdu dans les nuages qui a dû recevoir la foudre plus souvent qu’à son tour, et si c’est un spéléologue, il ressemble à une taupe couverte de boue à qui la lumière du soleil fait cligner des yeux. Celui dont je vais vous parler est donc particulièrement difficile à cerner, puisqu’il était tout cela à la fois ! Et en plus, il était inventeur à ses heures perdues… Mais rien de très surprenant, en fait. Il était meusien !
Henri Brocart naît à Vignot en 1845. Son père étant militaire, il va suivre une scolarité nomade en corrélation avec les affectations de son père, allant du lycée de Marseille à celui de Strasbourg pour terminer à l’École Polytechnique en 1865.
Poursuivant la tradition militaire familiale, il intègre l’École d’application de l’artillerie et du génie à Metz et en sort lieutenant en 1869.
Ce qui lui laisse peu de temps avant la guerre de 1870 qui se prépare. Il y participe sous les ordres du Maréchal Mac-Mahon et comme beaucoup d’hommes de cette unité, il est fait prisonnier après la bataille de Sedan.
Une fois libéré, il devient professeur dans une école militaire et se fait remarquer en publiant des articles particulièrement pointus dans la plus célèbre revue de cette époque, "Nouvelles correspondances mathématiques". Pendant la même période, il rédige des articles de vulgarisation afin de mettre l’astronomie à la portée du plus grand nombre. On le sollicite dans de nombreuses associations scientifiques impressionnées par le talent de ce tout jeune homme. Les travaux qui l’ont fait connaître portent essentiellement sur la géométrie du triangle, ce qui ne l’empêche pas de se passionner pour les nombres. À ce sujet, si quelqu’un est intéressé, il a posé un problème en théorie des nombres (la conjecture de Brocard) qui n’a toujours pas été totalement résolu à ce jour : Prenez vos copies, vous avez deux heures !
Trouvez des valeurs entières de n et m vérifiant l'équation diophantienne :
n! +1=m2 où n ! est la fonction factorielle.
Ayant goûté pendant deux ans au climat vivifiant de Grenoble, où il enseigne comme adjoint au Commandant de l’École régimentaire, il décide d’aller se réchauffer les os en Afrique. Et hop, le voilà parti en Algérie.
Il participe à plusieurs expéditions militaires, notamment lors de la révolte des Mokrani, mais quand il y a une accalmie, il retourne à sa véritable passion, la science. Outre ses travaux en mathématique, il apporte son expertise de technicien militaire pour moderniser et développer le réseau de stations météo en Algérie et fonde l’Institut Météorologique d’Alger dans la foulée.
Mais ce n’est pas tout, il participe à de nombreuses expositions portant sur l’agriculture, et propose dans ce cadre une de ses inventions : un appât pour sauterelles. Quiconque a pu voir les ravages causés en Afrique du Nord par ces charmantes bestioles comprendra l’intérêt suscité par cette invention qui recevra une médaille d’or à Alger en 1876.
Cependant, son oxygène reste la science mathématique et il lâche une véritable bombe en rédigeant un papier sur l’étude d’un nouveau cercle du plan du triangle. Cette étude est tellement personnelle que les principales notions abordées portent toujours son nom. Le point de Brocard, le cercle de Brocard et les figures de Brocard font désormais partie du vocabulaire mathématique au même titre que le théorème de Thalès et l’intégrale de Riemann.

Représentation du point de Brocard
Il rentre en France et travaille quelques années à l’école régimentaire de Montpellier où il rénove et développe les laboratoires de physique et de chimie avant de repartir pour Grenoble, dernier palier de décompression avant de rentrer à Bar-le-Duc où il prend sa retraite en 1910 après avoir atteint le grade de lieutenant-colonel.
Mais retraite ne veut pas dire oisiveté, il réalise le premier inventaire des phénomènes karstiques de la Meuse grâce à la participation des instituteurs et des agents forestiers du département, participe à plusieurs congrès internationaux dans toute l’Europe et publie un ouvrage intitulé Courbes géométriques remarquables, dont le second tome paraîtra à titre posthume.
Hé oui, parce que cet homme pressé et éternellement en mouvement va trouver le temps de mourir, en 1922. Mais pas chez lui, à Bar-le-Duc, il était bien trop occupé pour ça… Il s’est fait surprendre en Angleterre, à Kensington, où il était allé se détendre… Erreur funeste !
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