Lecks fannyCoup d oeil octobre2025

Un extrait du roman d'un(e) auteur(e).
Aujourd'hui, Fanny LECKS avec...

 

À L'OMBRE DE NOS PROMESSES
(Extrait : chapitre 1)

 …
   — Tu viens ? demande-t-il, simplement.

 Je hoche la tête. Pas besoin de mots. Pas avec lui.
  
Nous marchons en silence, nos pas s’accordent sans effort. L’air sent la terre mouillée et la pluie fraîche. J’aime cette odeur. Elle me rappelle les débuts. Les choses simples. Dans le tumulte de ma famille, Owen est mon îlot de calme, celui qui voit au-delà des chamailleries.

 — Tes frères encore ? finit-il par demander.

 Je soupire.

   — Toujours. Ils me voient encore comme une gamine de cinq ans.

   — C’est leur façon de t’aimer.

   — Peut-être. Mais parfois, j’aimerais juste… respirer.

 Il ne dit rien. Il comprend. Owen comprend toujours.
   On arrive au parc, notre banc nous attend sous le vieux chêne. Je m’y installe. Il me rejoint.
    
Je tourne la tête vers lui.

 — Tu te souviens de notre premier jour à l’école ?

 Il rit doucement.

 — Comment oublier ? J’étais terrorisé.

 Je souris.

 — Tu parles ! C’était en septembre 2007. Je me rappelle l’odeur des crayons neufs, de la lumière du matin. De toi.

 Il hoche la tête, rêveur.

 — La salle me paraissait immense. Je cherchais un coin où disparaître. Et toi, t’étais là. Petite, discrète, les cheveux en bataille…
    
— Et pourtant, c’est toi qui es venu t’asseoir à côté de moi.

 Il rit.

 — Parce que tu m’as souri. Personne d’autre ne l’avait fait.

 Je le regarde.

 — Tu ne me faisais pas peur non plus.

 Silence.
   
Il baisse les yeux. Moi, je sens mon cœur rater un battement. Il ne me regarde pas, mais je sens son attention partout. Sur mes gestes, mon souffle, mon hésitation.
   On ne dit rien. Mais tout est là.

 — Tu te rappelles le premier été au lac ? demande Owen.

 J’incline la tête, un sourire aux lèvres.

 — Comment l’oublier. Tu m’as embarquée là-bas comme si c’était le centre de l’univers.
    — Pour moi, ça l’était.

 Il rit doucement, puis ajoute, plus sérieusement:

 — Et tu sais quoi ? Ça l’est toujours.

  Je détourne les yeux, le cœur un peu serré.
   Ce premier été… J’avais six ans. Maman était déjà partie depuis longtemps. Papa avait hésité, mes frères s’y étaient opposés, mais j’étais partie avec les parents d’Owen. Sa mère m’avait accueillie comme si j’étais sa fille. Elle m’avait appris à faire des cookies, m’avait tressé les cheveux, m’avait écoutée sans jamais me presser.

    Et puis il y avait le lac.

  Le lac Michigan. Immense, infini, un monde à part. Nos jeux sur la plage, les radeaux de fortune, les cabanes secrètes, les histoires de fantômes au crépuscule. C’était notre royaume. Le seul endroit où tout semblait à sa place.

 — Je me souviens, murmurais-je, de la première fois que j’ai vu l’eau. J’ai couru comme une folle vers les vagues. Tu m’as rattrapée avant que je plonge tout habillée.

 Owen éclate de rire.

 — Et après, tu m’as poussé dedans, histoire de faire bonne mesure.

 Je souris, le regard dans le vague.

 — On était invincibles. On construisait des royaumes de sable et on faisait des pactes de pirate. C’était sérieux, à six ans.

 Il se tait un instant, puis, plus bas:

 — Tu crois qu’on l’est toujours ?

 Je le regarde. Son visage est à moitié dans l’ombre, mais ses yeux brillent d’une lueur que je connais trop bien.

 — Je ne sais pas, dis-je doucement. Peut-être qu’on a juste oublié comment c’était quand on n’avait peur de rien.
    Il ne répond pas. Sa main s’ouvre vers moi. Je n’hésite pas.

    Nos doigts s’enlacent.

    Comme à chaque fois.

    Mais cette fois-ci… c’est différent.

   Le silence est devenu plus dense, plus chargé. Il y a des choses entre nous qui n’existaient pas avant, ou peut-être qu’elles ont toujours été là. Et que je commence seulement à entendre. C’est un vertige silencieux. Une pente douce que je n’ai pas choisie, mais que je ne peux plus ignorer.

   On reste assis là, à regarder le ciel se teinter de rose et d’or. Le jour décline, la brise se lève. Mes cheveux volent un peu devant mes yeux. Owen les écarte doucement, presque sans y penser.

    Je me lève, à contrecœur.

 — Je devrais rentrer. Mes frères vont croire que j’ai été enlevée par un alien.

 Il sourit.

 — Je te raccompagne ?

 J’acquiesce.
   On marche sans parler. C’est notre façon de dire tout ce qu’on n’ose pas.

   Devant la maison, je m’arrête sur le pas de la porte. Les lumières sont allumées à l’intérieur. Je sens leurs regards derrière les rideaux.

 — À demain, dis-je.
   
— À demain, répond-il.

 Je reste là un instant, puis franchis le seuil. Je referme la porte derrière moi… et je reste immobile. Le bois est froid dans mon dos. Mon cœur bat trop vite. Je repense à son regard. À sa main dans la mienne. À ce que je n’arrive pas encore à nommer. Ce frisson qui ne me quitte plus depuis qu’il est parti.

 — T’étais où ? tonne la voix de Caleb.

 Je sursaute.

 — Je me baladais, dis-je.
   — Avec Owen, pas vrai ? lance Benjamin en apparaissant derrière lui, sourire aux lèvres.

 Je soupire. Inutile de mentir.

 — Oui.

 Ils échangent un regard entendu. Caleb hausse les épaules.

 — C’est Owen. Tu ne risquais pas grand-chose.
   — Il est fiable, approuve Nate en arrivant. Même papa lui fait confiance, c’est dire.

 Je souris malgré moi. Ces trois-là ont toujours été insupportables… et irremplaçables.

 La voix de mon père résonne depuis la cuisine:

 — À table !

 Le dîner est animé, bruyant, rassurant. Mes frères se moquent de mon «air bizarre», Benjamin affirme que je rougis, je nie en bloc. Papa sourit, silencieux.
   Je monte me coucher après avoir échappé de justesse à la vaisselle.

   Dans ma chambre, je me glisse sous les couvertures. Le bruit de la pluie a cessé. Il ne reste que ce calme, ce souffle du soir qui berce la maison.

   Je pense à Owen.

   À demain.

  Je me suis endormie avec cette étrange sensation que le monde était sur le point de basculer. Comme si un fil invisible s’était tendu entre Owen et moi, vibrant d’une énergie à la fois douce et inquiétante. J’avais l’impression de me tenir au bord d’un précipice, excitée et terrifiée à la fois par l’idée de sauter. Quoi que ce soit, ce quelque chose qui commençait, je savais que ça nous changerait.

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