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Par Daniel DUBOURG

 

Uniformes

Les nostalgies sont tenaces. Elles dorment, enfouies, à jamais oubliées, pour ressurgir, vivaces, avec un effet boomerang inattendu. Parmi elles, le retour de l’uniforme à l’école.
La blouse grise ou rose d’antan n’avait d’autre utilité que d’empêcher écolières et écoliers de décorer leurs habits de craie, d’encre, voire de poussière, quand il fallait charrier et déverser du charbon dans le poêle de la classe. Là, personne pour protester, pour interdire aux enfants des manipulations dangereuses et lourdes. Nos chères têtes blondes n’étaient pas en sucre. Il est vrai que, de nos jours, les risques d’accidents graves sont réduits quand on écrit sur un tableau connecté ou qu’on pianote sur un ordinateur, si ce n’est sur son portable personnel qui colle au corps.

Donc, l’uniforme revient. En force et à l’essai, dit-on. Il faut essayer pour savoir. Savoir quoi ? Et si ça va, on conserve, et même, on répand, on généralise.

L’uniforme, nettement plus seyant, élégant et raffiné, n’est plus un bouclier contre des assauts, mais bien plus une tenue de mode. L’uniforme arrive, lentement, voire sournoisement, réintroduit, au goût du jour, afin de séduire, de plaire, mais aussi, paraît-il, pour gommer les inégalités. En République, cela paraît être normal, couler de source.

Je commence à pouffer. Les séances scolaires (cours) de gommage des différences et inégalités confondues vont être vécues comme de véritables instants pendant lesquels, par souci d’équité, les élèves, quels qu’ils soient, seront égaux sous la toise de Marianne.

Je continue de pouffer. Le message est envoyé. Prière de bien le réceptionner, surtout, de bien le comprendre et de le mettre en pratique sans la moindre interprétation. Un coup d’uniforme, et hop ! on est tous égaux devant l’institution.

Là, je pouffe encore. Mais je me rembrunis à l’évocation des uniformes vert-de-gris de sinistre réputation, 90 ans plus tard. Avec eux vont les pas, les formules et les signes, les soumissions à une autorité. On essaiera avec les adultes ? Mais il y a bien longtemps que ça existe, mon cher ! Il y a bien longtemps que l’uniforme uniformise pour qu’il soit le symbole de l’appartenance à une collectivité. Paradoxal.

Les fines bouches objecteront que, maintenant, l’uniforme est partout ou presque. Au lycée, nous avons porté la blouse grise encore en classe terminale. Oui, oui. Bien entendu, il n’y avait plus de charbon à charrier. Nous tentions de la tirer de son triste anonymat en décorant le tissu de toutes sortes de graffitis et dessins plus ou moins élégants qui personnalisaient son porteur. Autour de nous, pour montrer leur appartenance à un même groupe, à une même collectivité, essentiellement dans le monde du travail, les gens portent un uniforme, ce qui évite de confondre gaziers, livreurs et employés de La Poste. Vous imaginez ? Si tous les habitants d’un même pays portaient un même uniforme, on ne s’en sortirait pas. Tout le monde serait noyé dans la masse ! Mais ça n’existe-t-il pas déjà en d’autres coins de la planète ?

Pour en revenir aux élèves, le problème est différent. En effet, ce ne sont pas eux, premiers concernés, qui décident. D’abord, parce qu’ils n’ont pas droit à la parole, en tant que mineurs. Ensuite, il y a, comme partout et à tout âge, des amoureux de l’uniforme. Enfin, ceux qui le portent dans le monde du travail se sont engagés par contrat et savent que leur emploi induit directement son port. Dans le milieu scolaire, rien de cela, car le statut des élèves différe de celui des adultes.

« Chassez le naturel, il revient au galop ». Ici, le naturel, c’est l’élève-individu et tout ce qui le représente de façon unique. Le nier en lui enfilant un uniforme le fera vivre sous le boisseau, l’éteignoir. Quand bien même, par une quelconque bonne intention d’équité, de justice et d’égalité, pour se donner bonne conscience, on vêtirait chaque élève d’un uniforme seyant, élégant, raffiné et original, ce dernier ne tarderait pas à se manifester, sinon transparaître par tout ce qui le constitue dans sa globalité : ses rêves, ses échecs, ses réussites, ses difficultés, ses craintes, ses inhibitions, ses aspirations. Ou, à l’inverse, l’uniforme lui serait un retranchement, un refuge.

Nous sommes donc dans le leurre complet. Nous pensions gommer les différences - alors qu’il s’agit de n’en gommer aucune - et édulcorer, mieux, éliminer les situations problématiques, quand il est plus qu’urgent de mettre l’accent sur des aides appropriées, des modes d’éducation, de communication et d’enseignement à mettre en place, de nouveaux horizons, de nouvelles matières à découvrir. Nous en sommes loin.

En latin, persona signifie masque. On en trouve tant, de nos jours : dans des fêtes, des bals… masqués, en cent lieux où revivent, pour un instant, les traditions. Les masques du théâtre permettaient d’amplifier la voix, le son. Derrière le masque, il y a une ou un inconnu rendu impersonnel.

Bas les masques. Méfions-nous de l’uniforme, s’il a pour unique objectif de gommer les inégalités, les différences, la simple réalité. De tout cela, rien n’est à masquer de façon artificielle, par un simple tour de passe-passe vestimentaire. Sinon, nous restons dans le paraître. Sans rien résoudre. Rétrograde.

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