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Par Jameson DU BAR ROI

Achille 1er, roi d'Araucanie-Patagonie

En ces temps agités du 19e siècle, l'impossible devenait possible et les rêves pouvaient se faire réalité. Achille Laviarde cherchait la gloire et le succès. Il trouva mieux, il devint roi.

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Comment s'acheter un royaume

Une nuit de mars 1882, deux hommes d'environ 40 ans trinquaient au champagne à une table du Chat Noir, ce nouveau cabaret parisien haut en couleur, rendez-vous des artistes, des poètes et des coquins.

Le premier était un boucher du Périgord, Adrien de Tounens ; il était le neveu et l'héritier du défunt Orlie-Antoine 1er, le soi-disant roi d'Araucanie et de Patagonie. Invité à séjourner un week-end à Paris par un groupe de défenseurs du « royaume », Adrien avait mis son plus beau costume et s'amusait qu'on lui accorde tant d'hommages et qu'on l’appelle respectueusement Monseigneur... Il savait surtout que sa famille s'était ruinée à financer les expéditions douteuses d'Orlie-Antoine, cet « oncle d'Amérique » dont il pouvait enfin tirer quelques maigres compensations...

Le second était une personnalité rémoise nommée Achille Laviarde. On le disait rentier, actionnaire d'une grande maison de Champagne, ami du légendaire Edouard Werlé*, et inventeur d'un système de bouchonnage des bouteilles de Champagne. La vérité est que Achille était un fils de famille qui s'était ruiné dans les affaires politiques et qui tentait désespérément de se refaire dans une ultime manœuvre.

« Cette nuit-là, Achille a convaincu Adrien de lui signer un acte de renonciation au trône, probablement à grand renfort de séduction et de vin, raconte Alain Pouillart, son biographe rémois. Ce faisant, il devenait le 2e roi de l'histoire d'Araucanie-Patagonie, le successeur d'Orlie-Antoine 1er. »

L'élu des indiens

Le dit Orlie-Antoine 1er était lui-même un étonnant personnage. Au départ, c'était un avoué de province, nommé Orlie-Antoine de Tounens, qui, porté par l'exotisme et l'aventure, était allé en Araucanie pour... y devenir roi ! Pour cela, il séduisit les indiens Mapuches, les convainquit de constituer un état indépendant et de l'en nommer souverain en 1860. Une aventure extraordinaire.

Mais le monde n'a rien de lyrique. Cela déplut aux états voisins qui revendiquèrent ce territoire oublié. La police chilienne arrêta Tounens ; il fut jugé en 1862, déclaré fou, interné et renvoyé en France.

Humilié et meurtri par 9 mois de cachot chilien, le jeune roi décida de poursuivre son combat, d'autant que les Mapuches continuaient de lui témoigner son soutien. Actif au niveau diplomatique, voire militaire (il réalisa trois expéditions de reconquête de son royaume), il se battit des années durant.

Ce fut en vain. Le roi se ruinait physiquement et financièrement, il fréquentait les bars et cabarets parisiens, partageant la table d'artistes amusés comme Verlaine ou Rimbaud. C'est là que, dans les années 1870, son verre avait dû s'entrechoquer avec celui d'Achille Laviarde, autre habitué des cabarets de Montmartre. Et c'est à ce moment-là, sans doute, qu'un plan se mit à germer dans le cerveau du malicieux champenois.

Le roi est mort, vive le roi !

A la mort d'Orlie-Antoine 1er, en 1878, Achille Laviarde se proclama héritier du royaume, prétendant l'existence d'un testament cryptographique d'Orlie-Antoine en sa faveur.

« Une preuve bien douteuse, considère l'historien Bruno Fuligni, et qu'on a jamais vue ! Puisqu'Achille prétendait à un trône sur lequel il n'avait aucun droit naturel, il revendiquait un testament codé, caché, secret... En clair, il fallait le croire sur parole ! »

C'est bien pour ça qu'Achille s'était donné la peine de convaincre Adrien de Tounens de le confirmer comme héritier du royaume. Dès lors, plus personne ne pouvait contester son statut de roi...

Achille 1er

Homme résolu et opportuniste, le râblé Achille 1er avait le génie de la mise en scène et de la publicité. Il paradait dans son bel uniforme couvert de médailles et jouait son rôle de souverain avec un plaisir non dissimulé. Assez étonnamment, cela plaisait ; d'abord aux enfants qui, criant « Vive le roi », avaient toujours droit à une petite pièce ; mais aussi aux adultes qui aimaient rencontrer ce souverain jovial et accessible. De plus, nombreux étaient ceux qui défendaient sa légitimité, y compris son ami le comte Pecci, neveu du pape. Achille put donc exploiter la situation en vendant des médailles, des distinctions, et des titres de consul à tour de bras, ce qui lui permettait de vivre et d'entretenir son rêve. Car il n'était pas le seul acteur de cette étonnante pièce de théâtre : il y avait sa femme, la magnifique princesse sud-américaine Dona Maria (en vérité, Maria-Elisa-Alexandrine Guéry, fille d'un ferblantier rémois), et un conseil ministériel, siégeant à Paris, composé de notables, haut-fonctionnaires, magistrats ou hommes de lettres qui participaient de bon cœur aux travaux de son gouvernement !

Évidemment, tout était dans la malice et le culot, ainsi qu'en témoigne un passionné du sujet, Jean Raspail, dans son livre « Adios, Tierra de Fuego » :
« Il (Achille) réussit quelques jolis coups, attirant, par exemple, dans les salons de la légation une ambassade persane très mamamouchi qui s'ennuyait à Paris. Passant au cou de l'ambassadeur la cravate de commandeur de la Constellation du Sud, il lui remit officiellement, devant les journalistes médusés, une lettre de sa main destinée au shah Nasr el-Din, « notre grand, illustre et bien-aimé ami... » »

Parfois plus sérieux, Achille parlementa avec le gouvernement français, soutenant la résistance Mapuche face à la domination chilienne.

« Achille Ier demanda le protectorat de la France pour ses 3 millions de « sujets », écrit Eugène Dupont dans l'almanach Mathot-Braine de 1935. Il y aurait des échanges à pratiquer ; le pays fournirait du bétail ; il possède des mines d’argent, de cuivre. Avec 50.000 Fr. on pourrait acheter pour 600.000 Fr. de métaux et fourrures, cuir, café, tabac, etc...»

Pourtant, la France resta sourde aux arguments du souverain et la révolte indépendantiste fut réprimée par le Chili...

Un rémois qui aimait vivre

Achille n'était pas un aventurier téméraire. Il n'alla jamais en Araucanie, partageant sa vie entre Paris et Reims. Dans la ville des sacres, outre ses affaires nébuleuses dans le champagne, le créatif Achille s'adonnait à sa passion des ballons-aéronefs auxquels il envisageait des utilisations militaires, il veillait sur la fanfare qu'il avait créée (l'ancêtre de l’Harmonie du 3e Canton) et surtout il s'adonnait aux joies de la natation, feignant de sauver de la noyade quelques amis complices pour enrichir sa collection de médailles de sauveteur... C'était un farceur et un festif, il entendait savourer le nectar de la vie jusqu'à la dernière goutte. Repas arrosés, fêtes tapageuses, baignades coquines avec de jeunes ondines, tous ces excès contribuèrent à le faire mourir d'une apoplexie en 1902, à l’âge de 61 ans. À son enterrement, ils furent 2000 personnes à le pleurer, le drapeau bleu-vert-blanc d'Araucanie reposait sur son cercueil...

« Aujourd'hui, explique Alain Pouillart, il nous reste sur Reims son domaine du château des Grenouilles Vertes. C'est là qu'il distribuait aux nécessiteux les fruits et légumes de son jardin. Car il aimait sa ville et ses habitants. Malheureusement le château a été rasé en 2001. Nous essayons donc de redonner vie à l'endroit : c'est ainsi que 800 personnes y sont venues lors d'un concert des Flâneries, et que la mairie de Reims recrée le parc tel qu'il était jadis. »


* Président de Clicquot, Edouard Werlé fut aussi maire de Reims. Achille Laviarde soutint activement sa campagne à la députation en 1869.

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