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Par Thierry LEFEBVRE

Berlin 1961-1989 : l'histoire d'un mur
(Première partie)

« Les hommes élèvent trop souvent des murs et ne construisent pas assez de ponts. » (Antoine de Saint-Exupéry)

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À leur réveil, le dimanche 13 août 1961, les Berlinois découvrent avec stupeur que des barbelés ont été installés durant leur sommeil. Cette barrière infranchissable encercle la zone Berlin-Ouest dépendant de la République Fédérale d'Allemagne et l'isole de facto de la République Démocratique d'Allemagne. Dans les semaines qui suivent, les barbelés sont renforcés par des plaques de béton armé et les Berlinois, impuissants, se retrouvent séparés entre eux par un no man's land d'une quarantaine de mètres de large appelé zone de sécurité.

Comment en est-on arrivé là ?

À la capitulation de l'Allemagne en 1945, le pays est divisé en 4 zones d'occupation par ses vainqueurs dans le but d'éviter toute éventualité de récidive et d'éliminer en profondeur le régime nazi. De 1945 à 1948, les puissances alliées (France, Royaume-Uni, USA et URSS) prennent donc la main sur un territoire où l’état allemand, faute de légitimité, n'existe plus.

Berlin, capitale historique du pays se trouve enclavée dans la zone soviétique, mais chacun en revendique une partie. Berlin, à l'image du pays occupé, connaîtra donc également un découpage. La moitié Ouest de Berlin correspond aux secteurs d'occupation américains, britanniques et français. La moitié Est de la ville est affectée à la zone d'occupation soviétique

Mais des tensions entre les alliés ne tardent pas à émerger. Un renforcement aux frontières, matérialisé par une double rangée de barbelés bordant une zone minée, est mis en place par Staline. Qualifiée de Rideau de fer par Churchill, elle isole clairement les pays du bloc de l'Est du monde occidental. Les idéologies respectives sont trop différentes pour une cogérance en bonne intelligence. Aussi, le 24 juin 1948, Staline veut prendre le pouvoir sur Berlin qu'il considère comme un maillon faible du Rideau de fer et, pour ce faire, ordonne le blocus de la ville. Staline souhaite ainsi ruiner l'activité de la ville et terroriser sa population en la privant de ses besoins vitaux. Notez au passage que toute ressemblance avec l'Holodomor de 1932-33 à l'encontre des Ukrainiens n'est sans doute pas fortuite.

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Les forces alliées qui fort heureusement disposent de zones aéroportuaires mettent aussitôt en place des ponts aériens. Leur mise en œuvre opérationnelle n'est pas sans générer des tensions entre les forces alliées. Principal point d'achoppement : la faible capacité aérienne de la France. Afin d'assurer la subsistance de Berlin-Ouest, il faut acheminer pas moins de 8000 tonnes par jour. Le temps passe vite et les premiers frimas de l'automne 1948 nécessitent l'acheminement de charbon et de bois de chauffage pour plus de 2 millions d'habitants. Au grand étonnement de Staline qui considérait les ponts aériens comme une opération de bluff, le défi sera finalement relevé et Berlin-Ouest gardera son autonomie et surtout la présence des alliés, seuls garants du maintien de la capitale. Mais le pays est clairement divisé en deux parties qui n'ont plus rien en commun.  
En réponse à la menace soviétique, la République Fédérale d'Allemagne est créée en mai 49. Francfort est pressentie comme capitale, mais finalement écartée au profit de Bonn, petite ville de 100000 habitants. En effet, les Allemands de l'Ouest craignent que le prestige de Francfort fasse oublier Berlin lors d'une future réunification. Ce détail montre bien que les Allemands n'ont jamais considéré cette séparation comme irréversible.  

Conséquence immédiate, Staline avance à son tour un pion avec la création de la RDA en octobre de la même année.

Dès 1952, le passage de la RDA vers la RFA est limité et contrôlé. Les Berlinois de l’Est pouvaient cependant encore se rendre à l’Ouest pour travailler ou venir en visite à condition d’utiliser l’un des 81 points de passage existants.

Pourquoi la RDA a-t-elle construit un mur ?

Berlin, devenue une enclave à l'intérieur même de la RDA, constitue un point névralgique du Rideau de fer. Entre 1949 et 1961, ce sont 2,6 à 3,6 millions d’Allemands qui fuient la RDA via Berlin, où il suffit de prendre le métro pour passer à l’ouest. L'évasion massive de main-d’œuvre et surtout de cerveaux de l'Est vers l'Ouest agace les dirigeants soviétiques. Le discours officiel est tout autre. La RDA affirme qu'il s'agit d'un "mur antifasciste", érigé pour des raisons de sécurité. Tous les passages entre les deux parties de la ville sont bloqués, l'armée soviétique est déployée aux frontières entre Allemagne de l'Est et Allemagne de l'Ouest. 

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Dans la nuit du 12 au 13 août 61, le mur va se matérialiser sous la surveillance de VoPos armés (abréviation de Volkspolizei ou police du peuple). Des milliers d'ouvriers sont réquisitionnés. L'armée soviétique contrôle toutes les artères traversantes avec des chars.
Au fil des semaines, le mur se structure et devient infranchissable. 17 stations de métro situées sur des lignes interzones vont soudainement devenir Fantômes. Les rames les traversent au ralenti sous la surveillance des Vopos, mais bien sûr sans s'y arrêter. Dès le 13 août 1961, 69 des 81 points de contrôle sont fermés. Le 14 août, c’est la porte de Brandebourg qui est à son tour fermée. Il ne subsiste au final que 14 points de contrôle dont 7 entre les deux Berlin tel le célèbre Check Point Charlie. Chaque point a ses propres spécificités, certains réservés aux diplomates, d'autres exclusifs aux Berlinois de l'ouest ou d'autres dédiés aux étrangers, mais aucun n'est autorisé aux Allemands de l'Est. 63 000 Berlinois de l’Est perdent leur emploi à l’Ouest et 10 000 de l’Ouest perdent leur emploi à Berlin-Est. Ce sont des milliers de familles qui sont séparées pendant plus de vingt ans.

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(Deuxième partie dans le Porte-Plume n°106 d'avril)

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