
Et les oiseaux chantent ma peine
Tu as oublié que tu viens de manger, tu réclames un goûter.
Tu as oublié l’heure, le jour, l’année.
Je te regarde comme pour la première fois, Papa.
Et les oiseaux chantent ma peine.
Tu as oublié les saisons, les noms, les visages.
Tes yeux s’égarent, glissent sur moi. Tu as oublié qui je suis.
Et les oiseaux chantent ma peine.
Ton passé lentement détissé, s’effacent les avants,
se retirent les vagues : tu entres en crépuscule.
Et les oiseaux chantent ma peine.
C’est ton dernier voyage, Papa, et tu ne le sais pas.
Sentinelle fragile, je reste sur le quai.
J’agite un mouchoir blanc, qui pleure dans le vent.
Et les oiseaux chantent ma peine.
Tu retournes en enfance, dans le berceau du premier âge.
Je te couve du regard, Papa, je veille sur tes nuits.
Et les oiseaux chantent ma peine.
Assis dans ton fauteuil, soudain, tu me souris.
Capture d’un instant, éphémère paradis.
Et les oiseaux chantent ma peine.
Une larme s’échappe, qui serpente ta joue.
Ultime rendez-vous, il n’y aura plus de Nous.
Tout est passé si vite, tu vas partir, déjà.
Et les oiseaux chantent ma peine.
Je me souviens des pays bleus,
des bouquets de pluie nue, des papillons drapés.
Je me souviens de la paille des meules,
d’une barque immobile, d’un lierre échevelé.
Je me souviens de la mauve lavande,
d’une rive d’eau vive, des oliviers dorés.
Je me souviens de la lune riante,
des étoiles filantes, des cercles galactés.
Je me souviens des matins clairs,
de la treille muscate, du chat ensommeillé.
Je me souviens de ce que tu as vu,
aimé, senti, touché.
Je me souviens pour toi, Papa,
Des beautés d’ici-bas.
Et les oiseaux chantent ma peine.
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