Anselmet fabienne 44 nouvelles 32023

Et c'est celle de...

Fabienne JEANNE

Sécheresse

     Soleil de plomb et chaleur atroce cet après-midi-là. Wyatt Eperson arrêta son cheval au sommet de l’étroite piste. Il ajusta son large chapeau et s’épongea le front avec son foulard. Il éperonna sa monture, jeta un coup d’œil à Davis Freeman son prisonnier, les bras attachés, tira vers lui la corde qui les reliait et commença la descente.
       Un violent vent du sud brûlait le canyon en soulevant des nuages de poussière. La vallée avait disparu dans la fournaise. Tout était grillé par des mois de sécheresse dans ce Texas profond. Partout, hommes et bétail se traînaient, écrasés par la canicule suffocante de plus en plus insupportable. Les troupeaux se concentraient le long du mince filet d’eau de la rivière à son plus bas niveau depuis des années.
      Wyatt Eperson était le shérif de cette petite ville du comté. Grand gaillard, la quarantaine, ses yeux clairs contrastaient avec la couleur de son visage basané. Sa chemise était trempée de sueur, son jean délavé lui collait les jambes, ses bottes avaient perdu leur éclat depuis de nombreuses années déjà. Seule l’étoile fixée à sa poitrine brillait d’un éclat argenté, son fusil accroché à sa selle sur le côté droit.
      Davis Freeman, célibataire endurci, était le propriétaire d’un des plus petits ranchs de la région. C’est la première fois qu’il se retrouvait face à la justice. Après cette bagarre dans le saloon avec un autre cowboy, les deux hommes ivres s’étaient enfuis au grand galop, tenant à peine sur leur monture, se poursuivant en poussant des cris de sauvages, soulevant des nuages de poussière.
        Ce n’est que le lendemain qu’un cowboy, inspectant son domaine à la recherche d’un coin d’herbe pour son bétail, découvrit le corps inanimé du jeune Alan Morgan. Son cheval avait regagné son écurie sans son cavalier.
      C’est ainsi que le shérif fut prévenu. Il sella son cheval, chargea son fusil et s’éloigna de la ville. Il bifurqua à la sortie sur un chemin de terre, dépassant les ranchs les uns après les autres. Il poursuivit sa route au petit trot pour ne pas fatiguer sa monture. Tout autour les champs étaient grillés par le soleil. Trois vautours tournoyaient dans le ciel à la recherche de quelques cadavres d’animaux ou autres bêtes en début de décomposition. Il eut soudain l’impression désagréable d’être surveillé. Un sixième sens l’avertit du danger. Mais la route était déserte. Après une vingtaine de kilomètres, il atteignit enfin le petit ranch de Davis. D’immenses peupliers l’entouraient, seule verdure perdue au milieu de cette campagne brûlée.
       Il se dirigea vers la maison. Petite, bâtie en bois dur, elle se dressait tout près de ce qui était autrefois la rivière. La grille de la grande cour gémit sur ses gongs. S’attendant à cette arrestation prévisible, Davis sortit sans un mot. Il se contenta de hausser les épaules et se retourna tandis que Wyatt lui liait les poignets avec sa corde dont il fixa l’extrémité au pommeau de sa selle. Il l’aida à grimper sur son cheval et ils s’éloignèrent sur la route poussiéreuse. Le shérif se tenait à l’écart un peu en arrière, pointant son arme sur son prisonnier.
       Au bout de quelques kilomètres, Davis prononça :

       — Je ne voulais pas le tuer…. J’étais ivre, juste un peu trop saoul pour maîtriser mes gestes. Le coup est parti tout seul….

       Mais voilà, le mal était fait. Le jeune Alan Morgan s’était écroulé d’une balle en pleine poitrine et avait succombé à ses blessures.
    Les deux cavaliers atteignirent enfin la ville dans un brouillard terreux. Le martèlement des sabots de leurs chevaux résonnait dans la rue déserte brûlée par un soleil de plomb. Wyatt le conduisit directement à la prison dont l’une des deux cellules était déjà occupée par un voleur de bétail en attente de son jugement. Il ferma la lourde porte et la verrouilla à double tour, tout en lui lançant :

       — Au moins ici, tu seras au frais.

       La petite ville de Jackson City ne comptait qu’un seul saloon qui naturellement ne désemplissait pas du matin au soir. Wyatt secoua ses bottes, poussa les deux battants et entra. Il n’y avait que quelques cowboys assoiffés. Le vieux James et son frère Oscar attablés depuis des heures, jouaient aux cartes, n’ayant rien d’autre à faire de leurs tristes journées et échangeaient de banales paroles en fumant. En apercevant le shérif, Rudy le propriétaire, lui servit une bière bien fraîche. Wyatt la dégusta lentement les yeux fermés. Il venait de passer des heures interminables à cheval, chevauchant à travers les plaines brûlées, depuis le ranch de Davis pour le ramener en ville.
     Jackson City ne dénombrait qu’une centaine d’habitants. L’artère principale conduisait à la gare à l’autre bout de la ville. Face au saloon, la banque, solide construction en pierre, dominait les bâtiments voisins. A côté du bureau du shérif et de la prison, l’armurerie occupait le rez-de-chaussée d’un édifice vieillissant, tenant encore debout par miracle. Un peu plus loin, l’hôtel abritait également le seul restaurant à des kilomètres à la ronde.
     Wyatt y pénétra. Comparé à la fournaise de la rue, l’endroit était frais. Il demanda une assiette à Jenny, la serveuse dont il était secrètement amoureux. Elle écarta une mèche de son front, ses cheveux bruns avaient la même couleur que ses yeux. Elle se dirigea vers la cuisine et lui prépara du lard dans la poêle, cassa des œufs et fit griller des tranches de pain.

       — Peux-tu m’en préparer deux autres pour Davis et l’autre prisonnier avec deux bières ?
  
    — Alors, c’est vrai ? Tu l’as arrêté ? Il est en prison, il sera jugé et on va le pendre ?
     — C’est probable. Il sera certainement jugé pour homicide, mais pas pour meurtre. Cependant on ne sait jamais, c’est tellement bizarre un jury…      

      La végétation était devenue quasi inexistante. Un immense troupeau de moutons avançait, surveillé par deux chiens de berger. Derrière, un cavalier et ses deux fils à peine âgés de quinze ans, à la recherche de quelques broussailles et épineux qui pourraient servir de pâture. La poussière soulevée par toutes ces pattes était suffocante. Les moutons de même que les bovins souffraient de cette situation. Dans la lutte pour la survie, les moutons l’emportent toujours. Ils tondent l’herbe si ras qu’il ne reste plus rien après leur passage. Mais là, il ne restait même plus un brin d’herbe.
       Le soleil finit par se coucher et la nuit tomba, la température avait à peine baissé et le vent brûlant semblait s’être calmé. De nouveau à la prison, Wyatt se leva et ouvrit la porte dans l’espoir de trouver un peu d’air, mais la fournaise était toujours intense.
      Nelson était un cowboy dont la masse imposante dominait un groupe d’hommes. Ce voleur de bétail l’avait dépossédé d’une dizaine de bêtes. Il était bien décidé à lui régler son sort sans attendre le jugement. Décidément, cette chaleur extrême ne faisait qu’empirer la colère des hommes. Ils étaient surexcités. Comme pour se donner du courage, Nelson leur cria :

       — Je paie une tournée à tous au saloon, ensuite on lui donnera une bonne leçon à ce voleur de bétail !

       Prétexte pour galvaniser ses hommes et les précipiter dans l’illégalité. Et tous se dirigèrent vers le saloon, rêvant de vengeance.
       Wyatt contempla de la fenêtre le spectacle de cette troupe en délire. Ces idiots finiraient bien par mettre le feu aux poudres. Des mois de sécheresse et de frustration les avaient conduits à cette extrémité. Qu’allaient-ils faire ensuite ? Prendre la prison d’assaut ? Le shérif ne les laisserait pas faire.
       Inquiet, Wyatt décida d’aller faire un tour en ville. Après tout, en bon shérif, il se devait d’assurer la protection de ses citoyens. Il se saisit de son ceinturon, l’ajusta à sa taille et vérifia le bon fonctionnement de son Colt qu’il rangea dans son étui. Avec cette chaleur suffocante, les hommes étaient à bout de nerfs et il ne fallait pas grand-chose pour déclencher une émeute. Il ne pouvait chasser cette désagréable impression de tension entre les uns et les autres. Il scrutait l’obscurité. Il entendait les cris venant de l’intérieur du saloon sans comprendre leurs paroles. Mais cela n’augurait rien de bon. Il préféra revenir se réfugier à la prison d’où il pourrait – pensait-il – pouvoir les contenir ou du moins les faire renoncer à cette idée stupide.
      Les minutes passaient quand la foule en délire, ivre d’alcool et de vengeance surgit face à la prison. Wyatt saisit son fusil, sortit et resta immobile devant la porte. Il connaissait tous ces hommes qui soudain lui semblaient étrangers, motivés uniquement par la haine et l’alcool. Tous portaient des armes.

       — Ouvrez shérif, hurla Nelson. Nous venons chercher le prisonnier !

       Jamais Wyatt ne s’était senti aussi seul, face à ces individus surexcités. Le doigt sur la gâchette de son arme, il planta son regard dans celui de Nelson.
       — Personne ne sortira d’ici. Rentrez chez vous avant qu’il ne soit trop tard.
       — Et bien, nous entrerons de force !
       — Pas un geste ! Je n’hésiterai pas à tirer si vous bougez !

***

      À cet instant, Marie-Charlotte laissa tomber son livre sur la moquette. Elle venait de s’endormir profondément dans son rocking-chair.

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