Deltour cecile3Lagneau patrick220 litteraturejeunesse 12023

Par ELLIE et Patrick LAGNEAU 

HECTOR ET LES ALLUMETTES

2023 01 lj1

Un jour, Hector a l’idée la plus incroyable qu’il n’ait jamais eue. Elle lui est venue comme ça, après le déjeuner.
Papa a un défaut : il fume. Et après les repas, il prend toujours une cigarette, une « Gauloise ». C’est écrit sur les paquets bleus avec le casque de Vercingétorix. Oh, le nom des cigarettes, Hector ne sait pas encore assez bien le lire, il l’a juste retenu quand Papa a dit à Maman « Ma chérie, tu pourras m’acheter des Gauloises en allant au marché, s’il te plaît ? ». Et le casque, c’est Papa qui lui a dit que c’était celui de Vercingétorix, le chef des Gaulois. Ça doit être pour cela qu’on les appelle des « Gauloises ».
— Vous n’avez pas vu mon briquet ? demande Papa, une cigarette entre les lèvres.
Ni Maman ni Hector ne savent où il se trouve.
— Hector, tu peux aller voir au garage, s’il te plaît, j’ai dû l’oublier sur mon établi…

Hector se précipite dans les escaliers qui descendent à la cave. Parvenu à la moitié des marches, il ouvre la porte qui donne sur le garage. Il contourne la voiture, une « Quatre-chevaux » grise de 1957, et se retrouve devant l’établi. Papa est très méticuleux. Tous ses outils sont rangés, alignés, triés, accrochés à des pointes plantées dans une large planche fixée au mur, juste au-dessus de l’établi et sur toute sa longueur. Alors forcément, l’établi est tout propre, tout vide et Hector se rend vite compte qu’il n’y a pas le briquet. Papa est peut-être méticuleux, il n’empêche qu’il a perdu son briquet…
Il remonte dans la cuisine où l’attend Papa qui, maintenant, tient sa cigarette entre deux doigts et tapote un bout contre la table, la retourne pour tapoter l’autre bout, et recommence. « Ah, ça, c’est parce qu’il est impatient de la fumer ! » se dit Hector.
— Alors ? demande Papa en voyant Hector.
— Non, il n’y était pas !
— Ah zut ! Où as-tu rangé les allumettes, ma chérie ?
— Derrière toi dans le tiroir du buffet…
Papa glisse à nouveau sa « Gauloise » entre ses lèvres, se lève, se retourne et ouvre le tiroir…
— Non, pas celui-là, l’autre !
Papa le referme et ouvre celui qui se trouve juste à côté. Il fouille une seconde à l’intérieur et soudain, entre deux doigts, il en tire une petite boîte d’allumettes.
C’est la première fois qu’Hector en voit une. Il ne perd pas une miette du rituel de Papa qui va déclencher son idée incroyable.
Il fait un truc bizarre : il l’approche de son oreille et la secoue. On entend un petit bruit qui lui indique qu’il y a des allumettes à l’intérieur. Il s’assoit sur sa chaise, et d’un doigt fait glisser une sorte de petit tiroir en carton et plusieurs petits bâtonnets, avec un bout rouge, apparaissent, bien rangés : ce sont… les allumettes !
Papa en prend une entre deux doigts, referme le petit tiroir en carton, tient la boîte dans une main, la tourne légèrement pour présenter face à lui un des petits côtés avec une bande marron, approche le bout rouge de l’allumette qu’il frotte d’un coup sec contre la bande. Rien. Il recommence une fois et là, une flamme jaune apparaît comme par magie. Il l’approche lentement de sa cigarette qu’il tient entre les lèvres. Il aspire de l’air à travers la cigarette et le bout se met à rougeoyer. Alors, il secoue sa main qui tient l’allumette. La flamme s’éteint et le bout rouge est maintenant tout noir. La main de Papa la dépose dans le cendrier, revient à la cigarette pour la retirer de ses lèvres, et là, le miracle se produit : Papa souffle une grande bouffée de fumée qui se disperse dans l’air au-dessus de la table.
Hector sent l’odeur en grimaçant et se demande comment Papa peut mettre cette fumée qui pue dans la bouche.
Mais il a vu. Il sait comment faire maintenant. Son idée incroyable commence à germer dans sa petite tête.

Le lendemain matin, Hector se réveille en bâillant. Il n’y a pas de bruit dans la maison. Papa est parti au travail et Maman au marché. Elle va bientôt rentrer. Vite, c’est maintenant qu’il va pouvoir réaliser son plan.
Sans hésiter, le cœur battant, il se lève, s’habille rapidement et, pieds nus, ouvre la porte de sa chambre tout doucement, pour vérifier qu’il n’y a personne à la cuisine. C’est bon. Il est tout seul.
Le buffet est là. Juste en face de lui. Il n’y a pas une seconde à perdre. En quelques enjambées, il se retrouve devant le meuble, ouvre le tiroir, se met sur la pointe des pieds pour glisser sa main à l’intérieur et fouiller à tâtons.
Soudain, il la sent.
Elle est là.
Entre ses doigts.
Il retire sa main.
Et glisse la petite boîte d’allumettes dans la poche de son short.
Il referme le tiroir, s’apprête à retourner dans sa chambre avec son trésor…
— Ah, tu es déjà levé, Hector ? Bonjour mon chéri…
Maman est déjà rentrée du marché. Ouf, il a eu chaud !
— Bonjour Maman. Oui, je n’avais plus sommeil.
— Bon, je range les commissions et je te fais ton petit-déjeuner… Va te débarbouiller !
Un peu plus tard, après qu’il a mangé ses tartines et bu son bol de chocolat, Hector s’essuie la bouche, quitte la table et dit à maman :
— Bon, je vais retrouver mes copains… On va jouer aux billes…
— N’oublie pas de rentrer pour manger !
— Oh non ! Quand mon ventre commencera à grouiller, c’est qu’il sera l’heure, lance Hector en ouvrant la porte.
Maman le regarde disparaître en souriant.
Si elle savait ce que se prépare à faire réellement son garnement de fils, elle ne sourirait pas.

Après s’être éloigné du lotissement à grands pas, Hector parvient à la lisière d’un bois au bord de la route. Son cœur bat la chamade. Il s’assoit au pied d’un arbre et appuie son dos contre le tronc.
Que faire avec les allumettes ?
Certainement pas allumer une cigarette !
Pour le plaisir de contempler son trésor, il sort la petite boîte de sa poche.
Comme l’a fait Papa, il la tient entre deux doigts, l’approche de son oreille et la secoue.
Il sourit au bruit que font les allumettes.
Il regarde à nouveau la boîte, puis d’un doigt, lentement, pousse le petit tiroir en carton.
Elles apparaissent.
Elles sont là.
Les allumettes alignées les unes contre les autres avec leur petit bout rouge.
Il en sort une.
Referme le petit tiroir en carton.
Frotte l’allumette d’un petit coup sec contre la bande marron du côté… Du premier coup, de nulle part, il voit apparaître la flamme jaune. Magique !
Ébahi, les yeux écarquillés, il regarde l’allumette se consumer, jusqu’à ce qu’à un moment, ses doigts commencent à sentir la chaleur. Comme l’a fait Papa, il secoue sa main, mais la flamme ne s’éteint pas. Alors, il a une idée de génie : il souffle fort dessus et là, enfin, elle disparaît.
Hector regarde l’allumette toute moche maintenant avec la moitié noircie et complètement tordue.
Ouais, c’est beau une flamme d’allumette, pense-t-il, mais je n’ai pas de cigarette à allumer, moi… Qu’est-ce que je pourrais faire avec ?...
C’est à cet instant que son regard se porte à quelques mètres de lui et qu’il aperçoit, froissé en boule, un paquet de « Gauloises » vide. Vu la couleur, il en est presque sûr…
Il se lève, va ramasser le papier qu’il défroisse. Il avait raison. Il y a le casque ! C’est bien un paquet de « Gauloises ».
Il l’observe avec curiosité. Que se passe-t-il à cet instant dans sa tête ?
Quoi qu’il en soit, il décide de faire brûler ce bout de papier, peut-être comme un message qu’il envoie à Papa… Comme pour lui dire, sans le savoir, par la pensée : « Ça pue tes cigarettes, Papa ! »
Il revient près de son arbre, pose le papier au pied du tronc sur l’herbe sèche de fin d’été, ouvre le tiroir en carton, sort une allumette, la frotte d’un coup sec contre la bande marron.
La flamme apparaît.
Mais là, c’est la troisième fois qu’il en voit une et c’est déjà moins drôle. Ce qui l’intrigue, c’est de savoir comment va brûler le papier.
Il en approche l’allumette.
La flamme, d’un seul coup, commence à lécher le casque de Vercingétorix qui, petit à petit, se met à noircir…
Le papier du paquet de « Gauloises » disparaît au fur et à mesure que s’étend la flamme.
Hector est subjugué.
Que c’est beau !
Que c’est…
Soudain, il ne l’est plus du tout, subjugué.
Parce que le feu commence à se propager aux herbes sèches et des flammes se mettent à grandir au pied de l’arbre.

Hector panique. Il essaie de les éteindre en les écrasant avec ses pieds, mais il a peur de se brûler. D’autant plus qu’elles se mettent à grandir de plus en plus.


Là, Hector sait qu’il est en train de faire une grosse bêtise. Il vaut mieux ne pas rester près du feu. On saurait tout de suite que c’est lui qui l’a allumé.

Complètement perturbé, Hector se sauve en courant et, dans sa panique, non pas en direction de sa maison, mais du côté opposé.

Sur la route qui mène à la petite chapelle du village, il croise une dame à vélo qui rentre de courses. Il doit lui dire quelque chose sinon elle va se demander pourquoi il court ainsi, complètement affolé.

— VITE ! VITE ! Y A QUELQU’UN QUI A MIS L’FEU LÀ-BAS ! s’écrie-t-il en agitant les bras et en espérant l’avoir convaincue.
Heureusement pour le bois, malheureusement pour Hector, la dame n'est pas dupe et comprend immédiatement ce qui se passe. Elle va prévenir Maman qu’il y a un début d’incendie au bord du bois, et qu’il a été provoqué par Hector qu’elle a bien sûr reconnu. Maman accourt rapidement et avec l’aide d’un voisin qui travaille dans son jardin à proximité, elle peut éteindre le feu avec des arrosoirs remplis d’eau qu’il lui passe par-dessus son grillage.
Soulagée, elle remercie le voisin et part à la recherche d’Hector qui a rejoint des copains qui jouent au ballon.

Quand Hector l’aperçoit, approchant de lui à grandes enjambées, il sait. Il sait que Maman sait.
En moins de temps qu’il en faut pour le dire, il se retrouve dans son lit en pyjama et juste avant de refermer la porte de sa chambre, Maman dit une phrase qui va ressembler à une épée suspendue au-dessus de sa tête :
— Attends un peu, garnement, tu vas voir quand je vais raconter ça à Papa !
En général, Papa rentre du travail à midi pour manger.
Hector est sous la couverture et il attend avec anxiété.
Quand il entend la voix de Papa et celle de Maman qui doit lui raconter sa bêtise, il sait que l’heure est venue.
Les pas se rapprochent. Et ça va vite ! Papa ne doit pas être content.
Hector en une fraction de seconde a encore une idée géniale : faire semblant de dormir sur le ventre. Papa n’osera pas le réveiller s’il croit qu’il dort.
Ce n’est pas vraiment ce qui se passe.

Soudain, la porte s’ouvre.
Puis Hector sent la couverture sous laquelle il est couché s’envoler d’un seul coup, sa culotte de pyjama se baisser jusqu’aux genoux, et la main de Papa qui tape sur les fesses, une fois, deux fois, cinq fois, Hector ne compte plus… Il pleure parce que ses fesses chauffent…
Soudain, plus rien.
La porte claque. Hector est seul dans la chambre. Les fesses en feu.

Le feu… Plus jamais il n’a joué avec des allumettes. Le souvenir de cette bêtise aura laissé un souvenir… cuisant.
Plus tard, Papa ne pourra s’empêcher de penser que s’il n’avait pas allumé sa cigarette devant son fils avec les allumettes, tout ça ne serait sans doute jamais arrivé.
Plus tard, Papa se rappellera qu’Hector, petit, disait toujours que la fumée de la cigarette pue.
Plus tard, bien plus tard, Papa arrêtera de fumer.

2023 01 lj2

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