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Par Daniel DUBOURG

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S'attacher

S’attacher à un souvenir, un objet, un lieu… Se lier d’amitié ou tout simplement lier connaissance. Quelqu’un me disait récemment :

« Si mon chien part avant moi, j’aurai beaucoup de peine, car je me sens très attaché à lui ».

Voilà qui nous rappelle le passage où le Petit Prince, dans le désert, rencontre le renard qui lui explique le sens d’apprivoiser et de devenir responsable :

« Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde… 

Les raisons d’un attachement sont souvent difficiles à cerner. Les justifications et explications que nous avançons souvent tardivement peuvent ne pas être les bonnes.

Si l’attachement perdure, il ne cesse de se renforcer, nourri par la connaissance croissante de l’objet « attaché », même s’il s’agit d’une photo, d’un livre, d’un tableau, d’une mélodie, car s’il n’y a pas dialogue ou échange au sens où nous l’entendons le plus souvent, cette connaissance, donc cet attachement, est le produit d’un regard nouveau qui modifie la perception et la compréhension que nous avions jusque-là. Curiosité, désir d’enrichissement et de culture pourraient en l’occurrence être sources d’attachement.

L’apprivoisement crée un attachement qui fait que l’autre revêt une importance. Apprivoiser, c’est faire en sorte que l’autre se découvre pour que nous puissions le découvrir, ceci fonctionnant à double sens. Faire en sorte que l’inconnu soit connu, disons mieux connu, moins sauvage, moins mystérieux, plus proche. Donc pas question d’une aliénation qui serait forcément réductrice et privatrice.

Si tout est lié, la nature des liens nous unissant à tous et à tout définit la forme de l’attachement. Ici, rien qui ressemble à une rengaine tournant en rond et se vide peu à peu de son sens, mais au contraire le lien qui, tacitement, court ou distendu, unit, réunit, non pour entraver, mais pour libérer et aider à prendre de la distance et un envol. Cet attachement-là est moteur de libération : liberté de penser, de dire, de créer, de choisir, de vivre, enfin.

Faut-il alors, par une position volontaire, éviter de s’attacher à qui ou à quoi que ce soit pour ne pas souffrir au moment de la séparation ? C’est sans doute ce que font celles et ceux qui craignent de se voir annexés, aliénés. Mais serait-ce un choix gagnant dans le but de se protéger, avec le risque de la solitude et de toute absence de communication ?

Quand le lien casse, la peine ressentie est inévitable et à la mesure de la force de l’attachement. Avec l’émotion, elle secoue l’être au plus profond de lui-même, montrant toute la difficulté que nous éprouvons à surmonter la rupture.

Pouvons-nous vivre en refusant de nous attacher volontairement ? Du reste, est-ce souhaitable et même possible ? Car il existe une multitude d’attachements inhérents à toute forme de vie.

Le véritable attachement, celui qui « ouvre » au lieu d’enfermer, est libérateur. Peut-être faut-il s’attacher sans dépendance pour pouvoir penser : « Mon attachement à l’autre est si fort qu’il me libère ». Paradoxal.

Dans Le prophète, Khalil Gibran écrit que nos enfants ne sont pas nos enfants, car ils ne nous appartiennent pas, ne sont pas notre propriété. Nous (tous éducateurs confondus) sommes les arcs tendus pour que les flèches partent au loin vers leur destinée. Éduquer : conduire hors de.

Devenir autonome, trouver son propre chemin, conquérir sa liberté, penser par soi-même… Un attachement possessif, non libérateur, permet-il cela ?

L’autre n’est alors peut-être qu’une marque d’amour. Et c’est ce dernier qui crée de la peine. Fortement. Parce que l’empreinte de l’amour y est profonde.

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