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Un film, un spectacle, une exposition, un musée, une curiosité...

Macel patrice 5

Patrice MACEL a vu pour vous...

 Cher Loiret ou Loiret cher
 Les images peuvent être agrandies d'un clic 

Je vous invite à une balade aux confins de ce joli département qu’est le Loiret (45).

Un WE dans le Centre-Val de Loire, ça pourrait être sympa, non ? Un coin que je ne connaissais pas. Alors, pourquoi ce choix ?
D’abord, pourquoi pas ? (Et toc !). Ensuite mon épouse devait suivre une formation sur le bien-être animal. Nous décidons alors de prolonger quelque peu l’aventure sur un gros week-end.

— Je trouverai bien quelque chose à voir dans les parages, lui dis-je. Entre Orléans, Gien, Sully-sur-Loire, je trouverai bien mon bonheur, non ?

Alors, je regarde, je me renseigne, je fouine, j’enquête, je prospecte, je (oui, bon ça va !).
Et je me rends alors compte que nous sommes à proximité de ce qui est la vitrine de VNF (Voies navigables de France, pour les non-initiés…), le must du must, la référence, le Graal, la… (ça va qu’on t’a dit…), l’ouvrage qui figure sur tous les dépliants du service : le pont-canal de Briard !
Ça y est ! Banco ! Trouvé ! Eurêka ! (Tu deviens lourd, là gros !).

Merveille des merveilles : 662m de long, 14 piles, 1 bac en métal réalisé par la Sté Eiffel. Architecte Mazoyer. Une prouesse technique, notamment au niveau de l’étanchéité qui est parfaite. L’ouvrage enjambe la Loire, dont le niveau d’eau, en ce mois d’avril, est très bas, ce qui est, je pense, inquiétant, puis le canal latéral à la Loire.

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Moi devant le pont-canal
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Pont-canal vue générale Entrée Bateau sur le pont-canal
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Vues de dessous : on distingue bien le bac métallique posé sur 14 piliers en béton


Au crépuscule d’une carrière de près de quarante et un an, je suis réellement satisfait de cette rencontre : je pense alors que j’ai bouclé la boucle avec les visites du plan incliné d’Arzwiller, des pentes d’eau de Montech et Fonserannes, de l’écluse de Réchicourt, l’escalier d’écluses de Carcassonne, la pont-canal de Béziers et de l’ascenseur à bateaux de Strépy-Thieu… Que des ouvrages remarquables !

Je me dis alors, avec la perspicacité qui est la mienne et après moult réflexions, après une minutieuse enquête, après croisements et recroisements des idées, (Pffff !) que si le pont-canal est là, c’est qu’il doit y avoir un canal (oui, j’ai dit perspicacité…). Alors, je regarde, j’enquête, je me renseigne, je foui… (on a dit quoi ?) et me rends compte que ce n’est pas un canal qu’il y a là-bas. Pas deux, mais trois.

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Carte du Loiret

L’endroit où je vais passer mon séjour est (est-ce un hasard ?) un ancien port de commerce : le port de Grignon sur la commune de Vieilles maisons sur Joudry : un port, deux écluses, un petit escalier d’écluses, à raison de trois : tout quoi ! Nous sommes sur le canal d’Orléans.
Le gîte que je loue (est-ce un hasard ?) est une ancienne maison d’agent du canal. Très sympa ce gîte d’ailleurs, à conseiller.

Mais hélas, désolation, tristesse, abomination, affliction, amertume, calamité, chagrin, contrariété, désespoir, dévastation ... (oh ! c’est mon ressenti, pas le tien, pouille pouille !), dans quel état l’ai-je trouvé ce canal ? Un corps mort, abandon total : des portes d’écluses prêtes à tomber quand elles ne le sont pas encore, un écoulement des eaux tellement faible qu’on devine le fond de l’ouvrage, des berges effondrées, un chemin de halage quasiment disparu, des platanes ou peupliers qui n’attendent que le moment pour, qui sait, se retrouver dans ce qui était alors la passe navigable. C’est vrai qu’à l’origine, ce canal a été construit (nous sommes en 1676) pour le transport du bois, mais quand même !

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Où est donc la porte ?   En voilà une, en bois, mais dans quel état ?

Je me renseigne : ledit canal a été abandonné, donc déclassé en 1954. Nos décideurs de l’époque ne croyaient plus en ce type de transport, voulant développer le rail. Il faut dire qu’il était déjà passé de main en main, et ce, à plusieurs reprises et qu’à chaque fois, les promesses données n’ont pas été tenues (ils n’avaient pas de chances, nos compatriotes de l’époque, il n’avaient que des responsables qui promettaient et qui ne tenaient pas ces promesses : heureusement, de nos jours, ça n’existe plus… hein ? Quoi ? Ah bon !)

Sans vouloir faire un vilain jeu de mots que peu comprendront, c’est normal, il faut être du métier, je ne sais pas qui a pris cette décision à l’époque : je suis persuadé qu’il ne s’agissait pas du député Poincaré (me demander pour l’explication), lui devait certainement en connaître assez sur la voie d’eau pour prendre une telle décision.
On peut donc dire qu’il l’a payé cher le Loiret, cher !

Mais ce qui me fait le plus mal, outre l’abandon, c’est qu’on l’a laissé tel quel, dans une agonie lente vers une issue malheureusement certaine. Il a dû souffrir, se voir partir, se demander à quoi bon avoir rendu tant de services. Il a dû se demander ce qu’il avait bien pu faire pour mériter une telle sentence, un tel mépris, un tel abandon.
Quelques brèches laissent échapper le peu d’eau qu’il reste dans le bief, telle une saignée qu’on lui aurait faite pour abréger ses souffrances.
Merde quoi ! (oups !) Un canal avec des bateaux de commerce, c’est beau, non ? Un canal avec des plaisanciers, c’est beau, non ? Un canal avec des gens qui se promènent à pied ou à vélo, voire à cheval sur ses berges, c’est beau, non ? Un canal avec sa maison éclusière fleurie, c’est beau, non ? Un canal avec ses pêcheurs, c’est beau, non ? Un canal avec le coassement des grenouilles, c’est beau, non ? Un canal avec une faune riche, volatiles, rongeurs, insectes, c’est beau, non ? Un canal avec un flore tout aussi riche, roseaux, massettes, nénuphars, iris, etc… c’est beau, non ? (ça y est, l’v’là qui se prend pour Hollande…). Et puis, faut-il ajouter que le transport fluvial, outre le fait qu’il désengorge les routes, est le transport le plus fiable, le moins cher et le moins polluant ; mais c’est vrai que ce ne sont que des considérations sans importance : pourquoi j’embête le monde avec ça ?

En me baladant le long de ce serpent d’eau mort, je me dis que si cela se trouve, d’ici quelques années, ce sera au tour du mien, en Meuse. Quand je rentrerai, je me garderai bien de lui dire ce qui va lui être réservé. D’ailleurs, me croira-t-il, sûr de l’utilité qui est la sienne. Et puis, l’homme n’est pas comme cela, doit-il penser ; il y a bien un fond d’humanité qui bat dans le cœur de chacun d’eux, qu’ils soient décideurs ou pas. Et moi, comment pourrait-il faire pour m’entendre et me croire, moi qui l’ai toujours servi, bichonné : ma parole sonnerait faux. Je me retrouve donc comme devant ma grand-mère, malade, sur son lit, qui me cause, me parle de ses projets, qui espère et je suis incapable de lui dire que ses jours sont comptés…

Alors, me direz-vous, tu ne vas pas repartir du Loiret avec cette tristesse dans ta tête ; il est beau le pont-canal, non ?
Le dernier soir, avant de repartir, je lisais un article dans une revue : et on nous explique que depuis 1985, le département du Loiret a repris l’exploitation du canal à des fins de tourisme : ils ont décidé de le remettre sur pied, d’inviter les bateaux à revenir, les promeneurs à refouler les chemins de halage, les libellules à survoler les nénuphars ou les ragondins à relaisser un peu de place aux autres.

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Péniche en bois
La belle de Grignon, gabarit inférieur à celles de chez nous. Construite par des passionnés, toujours optimistes quant à une réouverture prochaine (là, seulement deux biefs sont concernés)

Faire et défaire, construire, démolir, puis reconstruire, économiser et investir en masse. Décidément, la gestion de l’argent public n’a jamais été le fort de nos dirigeants, quels qu’ils soient et ce, depuis bien des décennies !
Un jour, peut-être, je retournerai là-bas et découvrirai ce qu’était cette belle région du Loiret au début des années 1950 : un jour peut-être. Un jour sûrement.

Un jour peut-être, avant qu’il ne soit trop tard, nos décideurs à nous, (toujours pas le député Poincaré. Je vous expliquerai, je vous l’ai promis) iront se balader pour aller voir ou se faire voir (je serais assez tenté par la 2e partie de ce propos, mais bon…). Ils se rendront alors compte de la beauté d’une région mouillée par ces serpents d’eau, empruntés par nombre de personnes qui, on n’y peut rien, se sentent comme attirées par un canal, une rivière ou un fleuve ; Peut-être qu’alors, ils se rendront compte de l’erreur qu’ils allaient commettre et peut-être qu’ils reviendront sur leur décision, qui sait ? (Oh là, là ! je suis en train de me mettre dans la position de l’électeur qui croit aux promesses faites pendant la campagne. Faut revenir à la raison, mon gars).
Donc, en un temps cours (un week-end) j’ai pu voir de mes propres yeux ce que l’homme est capable de faire ; ce pont-canal peut indéniablement être la fierté d’un pays et d’un service et de l’autre…

Je retournerai là-bas d’ici quelques mois. Je devrais avoir le temps, vu que je serai retraité (eh oui…). J’aurai alors quitté ces voies navigables, ma Meuse et mon canal avec qui j’aurai partagé 41 années de ma vie. Je partirai, m’éloignerai. Et comme je ne sais pas ce que je laisserai derrière moi, je pense que je n’aurai pas l’envie de me retourner.

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