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Par Jean-Luc QUÉMARD

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Stenay au fil du temps
(Dernière partie)

Les nouvelles limites frontalières depuis 1871 incitent le haut commandement français à revoir sa politique de défense du territoire. Dans ce cadre, la cité devient rapidement une ville de garnison par la construction de la caserne Chanzy en 1893 qui reçoit le 18e bataillon de chasseurs commandé par le chef de bataillon Franchet d’Esperey[1] jusqu’en 1899. À cette époque, il y a 1300 militaires répartis dans plusieurs unités et infrastructures, l’ensemble constituant la 87e brigade d’infanterie.  Stenay retrouvant un essor économique, industriel, agricole et une modification urbaine, va à l’issue de cette période de paix de 43 années connaître à nouveau les vicissitudes de l’occupation allemande.

La Grande Guerre, 1914-1918. À l’issue des combats du 26 et 27 août 1914 pour le franchissement de la Meuse, les Allemands arrivent dans la cité. Le maire ayant quitté préalablement la ville avec moult administrés, ce sont Albert Toussaint (directeur de l’école primaire) et l’abbé Hazard que l’ennemi prend en otages. Le premier décédera lors d’une fusillade au cours d’une rencontre avec une patrouille française. C’est la première victime stenaisienne de la Grande Guerre. Dès le début de l’occupation, les Feldgraus ne ménagent pas la population et se livrent au pillage des maisons.
Les casernes ne suffisant pas pour héberger toutes les troupes, l’occupant a recours à la réquisition des maisons où les soldats vont être logés gratuitement chez l’occupé.
Durant l’occupation allemande de quelque 50 mois, l’ennemi procède à un véritable asservissement et saisit pratiquement toutes les ressources destinées à l’effort de guerre tout en préservant une partie pour la population civile. La ville est marquée par la présence du Kronprinz au château des Tilleuls.

La vie des Stenaisiens sous l’occupation allemande. Comme dans beaucoup de communes meusiennes du nord du département, très rapidement, dans les villages occupés, les Allemands mettent en place pendant plus de 4 ans un système autarcique et répressif. Les communes sont délimitées par une frontière virtuelle qu’il est formellement interdit de franchir sous peine de lourdes sanctions. Toute communication avec les habitants des bourgs voisins est interdite. Ainsi, tout contact avec des membres de la famille habitant un village proche ou en zone non occupée paraît chimérique.  L’occupant prend à son compte l’administration des communes et désigne le maire qui sous peine de sanctions est entièrement voué à sa cause. L’ennemi procède à un service d’otages qui répond du bon fonctionnement de la commune et met en place un service de travail obligatoire.

Dès le début de l’occupation, la population assiste à la germanisation des territoires occupés. La monnaie n’est plus le Franc, mais le Mark. Les rues sont rebaptisées en allemand. L’heure légale passe à l’heure germanique. Tout ce qui n’est pas indispensable à la vie de la commune est taxé. La correspondance avec les prisonniers de guerre se durcit. Le couvre-feu est décrété. À leur arrivée, les Allemands découvrent des villages dans un état d’insalubrité extrême. Des tas de fumier s’étalent, exhalant leur odeur nauséabonde et déversant le purin dans les caniveaux. Les usoirs, devant les maisons, ressemblent à de véritables décharges à ordures. Les fosses d’aisances débordent sans que personne ne s’en soucie. L’occupant, très pragmatique, améliore les conditions sanitaires déplorables. En quelques jours, les tas de fumier, signe de richesse des paysans meusiens, disparaissent du paysage. L’autorité militaire impose le nettoyage des rues et des chemins avec interdiction d’y jeter les déchets de toutes sortes sous peine de fortes amendes. Chaque habitant est sommé de nettoyer devant chez lui. Les abords des maisons et les places sont aménagés et embellis. L’alimentation étant la principale préoccupation de la population, celle-ci est autorisée à cultiver ses légumes et à élever quelques animaux de basse-cour. Vers la fin de l’occupation, toute la production de lait est livrée aux Allemands, seuls les vieillards, les enfants en bas âge et les malades pouvant en bénéficier après avis médical d’un médecin militaire ennemi. Avec la pénurie, la mendicité se développe. Les enfants ont recours à la manche, ce qui agace profondément le commandement allemand qui en interdit la pratique. Avec l’autorisation des Allemands, une cuisine collective est créée et la municipalité attribue des terrains communaux pour en faire des jardins familiaux. Le braconnage couramment pratiqué est sévèrement réprimé. Stenay et sa région sont le centre d’une importante structure hospitalière ennemie accueillant moult blessés, surtout lors de la bataille de Verdun en 1916.

Le Kronprinz au château des Tilleuls. À partir de septembre 1914, Guillaume de Hohenzollern (1882/1951), Kronprinz Impérial, fils du kaiser, Guillaume II (1859/1941), commandant la Ve armée allemande, s’établit au château des Tilleuls où il organise des fêtes et des réceptions. Son quartier Général s’installe à l’école des garçons. Les nombreux officiers généraux et supérieurs occupent le château de Cervisy et les maisons de maître de la région. Le Kronprinz n’a pas vraiment le rôle opérationnel du commandement de son armée. Il passe le plus clair de son temps à se promener à cheval ou en voiture, à organiser des fêtes en menant une vie de débauche et en recevant de nombreuses maîtresses, dont des Stenaisiennes[2]. Il rend visite à ses troupes quand le front est calme et distribue des décorations. Il vit dans la hantise des bombardements aériens dont Stenay est régulièrement la cible. À cet effet, il fait construire un blockhaus au château des Tilleuls. Il réside à Stenay jusqu’au début de 1918, puis prend le commandement du groupe d’armée du centre et établit son Q.G. à Charleville.

La Libération. Le 7 novembre 1918, la population des communes situées sur la ligne de front est évacuée vers la Belgique. Dans certains villages, les habitants sont retenus en otages par l’occupant. Durant les négociations de l’armistice, chaque armée se tient prête à en découdre si jamais elles n’aboutissent pas. Les Américains pilonnent les positions allemandes jusqu’au 11 novembre à 11h. L’ennemi détruit tous les bâtiments de la rive gauche de la Meuse, tous les ponts et se positionne sur les hauteurs de la rive droite pour en interdire le débouché aux Alliés. La ville de Stenay est libérée par la 2e Division du 5e Corps américain le 9 novembre. Le retour des habitants exilés dans leurs villages respectifs s’étale sur plusieurs mois et ils reprennent possession de leurs biens ou de ce qu’il en reste. Le monument aux morts est inauguré avec faste en août 1923.

La paix revenue, la démographie est en plein essor grâce à l’arrivée d’Italiens, d’Espagnols et de Polonais. L’agriculture renaît de ses cendres surtout vers 1930 par la mécanisation et l’industrie reprend son allant. En 1927, la papeterie est inaugurée. C’est la dernière grande industrie encore en activité à la fin du XXe siècle. Depuis 1931, la forge connaît une crise, les carnets de commandes ne sont plus guère remplis et en 1934, les aciéries de Sambre-et-Meuse ferment. En 1939, la crise géopolitique européenne devenant très préoccupante, le haut commandement militaire procède à des manœuvres qui se succèdent et l’armée se prépare en attendant la mobilisation générale vivement ressentie.

La Seconde Guerre mondiale, 1939-1945. La mobilisation générale est décrétée le 1er septembre 1939. De nombreuses troupes sont dépêchées sur Stenay et attendent… C’est la drôle de Guerre. Les combats débutent le 10 mai 1940 par un bombardement allemand alors que la cité n’est pas totalement évacuée. L’exode des civils commence le 12 mai, la plupart vers le département de la Charente. Le même jour, les troupes françaises résistent à l’avancée ennemie dans le secteur de Cervisy et d’Inor. Ces combats épiques durant pratiquement un mois, un officier allemand les qualifie dans ses mémoires pour les avoir vécus « l’enfer d’Inor ». Mais Stenay à bout de la résistance est finalement occupée, certes avec moins de troupes, mais dans les mêmes conditions qu’en 1914-1918. Les exilés reviennent vers la fin 1940 et reprennent petit à petit un semblant de vie sous les consignes drastiques de l’occupant. La caserne Chansy sert de centre de détention pour les prisonniers français jusqu’en 1942. L’organisme allemand Ostland (société agraire créée en février 1940 en Pologne) s’installe dans la zone interdite[3]. Elle a pour but de réquisitionner toutes les fermes et leurs ressources au profit de l’effort de guerre ennemi.

La Résistance. Jusqu’à l’été 1943, faute de moyens et d’armes, la Résistance en Meuse consiste surtout à contrer l’occupation en distribuant des tracts, en célébrant les fêtes nationales et en dénonçant les collaborateurs… Les Alliés débarquant en Normandie le 6 juin 1944, les sabotages et actes de guérilla se multiplient afin d’empêcher les ennemis de contre-attaquer. Les maquisards sont de plus en plus nombreux grâce aux réfractaires au STO[4], mais les arrestations, les déportations et les exécutions sommaires se renforcent et visent également les civils. Durant l’été 1944, un groupe de la Gestapo du Mans qui bat en retraite réquisitionne le pensionnat Sainte-Marie. Le 28 août, ils arrêtent l’abbé Laurent, vicaire de Stenay, et l’abbé Millier, curé de Mouzay, qu’ils soupçonnent d’espionnage et d’acte de résistance. Ils ne reviendront pas et c’est seulement le 24 décembre 1944 que leurs corps seront reconnus parmi bien d’autres, dans le charnier du tunnel de Tavannes, à proximité de Verdun. Les Américains libèrent une grande partie du département les 31 août et 1er septembre 1944. Cependant, certaines communes dans le nord de la Meuse, comme Stenay et Montmédy, ne sont libérées que le 4 septembre avec l’arrivée du 20e Corps américain. Avant leur fuite, les Allemands dynamitent la porte de la Citadelle, dernière porte d’enceinte fortifiée de la ville.

Stenay connaît après-guerre un nouvel essor. En 1971, l’escadron de gendarmerie mobile qui occupe les baraquements de la caserne Chanzy depuis 1945 quitte les lieux. En 1972, le portail de la chapelle Saint-Dagobert est découvert, près de l’ancienne porte d’accès de la citadelle, par le Groupement archéologique sur des indications du chanoine Vigneron.

Sources : La guerre de 14 au pays de Stenay – 2006, Philippe Voluer - Dossiers documentaires meusiens n° 39, tome II, Jean Maillard                                  


[1] Fils d’un officier de cavalerie des chasseurs d’Afrique, Louis Franchet d'Esperey sort sous-lieutenant d’infanterie de Saint-Cyr en 1876 avant d’intégrer l’École supérieure de la Guerre en 1881. Le début de sa carrière militaire est marqué par sa participation à plusieurs campagnes coloniales en Algérie, en Tunisie, au Tonkin, en Chine puis au Maroc. Lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale, il s’illustre à la tête de la 1re armée, lors de la bataille des frontières, à Charleroi, en Belgique, puis à Guise, sur l’Oise, en menant une contre-attaque victorieuse contre les troupes allemandes. Appelé le 3 septembre 1914 au commandement de la 5e armée, par Joffre, il joue un rôle déterminant dans la victoire de la Marne et devient chef des armées de l’Est en 1916 puis des armées du Nord en 1917. En juin 1918, il remplace le général Guillaumat à la tête des armées alliées d’Orient et lance l’offensive décisive qui, après avoir rompu le front bulgare, aboutit à l’effondrement de l’Autriche-Hongrie dans les Balkans.

[2] Suite à des liaisons adultérines ou à des viols commis par l’ennemi, une vingtaine d’enfants naissent durant l’occupation.

[3] La zone interdite est une partie de la zone occupée par les Allemands qui se situe dans le grand quart nord-est. Le département de la Meuse en faisait partie, cette dernière était interdite aux réfugiés.

[4] Le STO (service du travail obligatoire) fut, durant l’occupa-tion de la France par l’Allemagne nazie, la réquisition et le transfert contre leur gré, vers l’Allemagne de centaines de milliers de travailleurs français afin de participer à l’effort de guerre allemand.

(Toutes les photos peuvent être agrandies d'un simple clic)

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Château des Tilleuls Résidence du Kronprinz pendant la guerre de 1914-1918

Le Kronprinz impérial Enfants regardant les musiciens allemands
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La papeterie vers 1930 Le château bombardé
en 1940

Panneau en langue allemande dans Stenay

Archives départementales de la Meuse : affaires militaires – occupation étrangère (1800-1940) – série R 93 et 95

 

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