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Et c'est celle de...

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Joëlle FRIGNET

 

Le petit chat
(Partie I)

La Juva 4 franchit le porche de la ferme alors qu’Angèle rentrait de sa promenade matinale. En cette fin de mai 1937, la fraîcheur se faisait encore sentir.
Du mieux qu’elle put, elle se précipita à la rencontre de son beau-frère.

- Alors, comment va Colette ? Elle n’est pas venue avec toi ? On ne l’a déjà pas vue à Pâques !
- Elle est très fatiguée par sa grossesse tardive et puis elle ne veut prendre aucun risque… après toutes ces fausses couches...
- Elle me manque, je ne l’ai pas vue depuis Noël !
- C’est mieux comme ça !
- Qu’est-ce qui t’amène à cette heure ?
- Je te présente madame Leduc, je suis allé la chercher à Colombey, sa présence soulagera Colette. Du coup, j’en profite pour prendre le petit chat que j’avais choisi à Pâques ! Et toi, ça va ?
- Je me traîne un peu avec mon gros ventre, notre cousine sage-femme est venue ce matin, tout va bien, elle m’a fait une petite injection pour me détendre. Elle repassera en fin de journée voir si tout est correct.

Il ouvrit alors la portière arrière et une femme d’âge mûr, à la poitrine rebondie, d’allure austère avec son chignon, sortit du véhicule.

- Alors, vous mangez avec nous ?
- Bien sûr, mon petit coin de Meuse n’est pas à la porte d’à côté, et puis j’ai rendez-vous avec un collègue à Froncles.
- C’est maman qui va être surprise ! Vous tombez bien, elle a justement tué un lapin hier ! 

La grosse porte d’entrée du corps de logis donnait directement sur la cuisine. À peine fut-elle ouverte qu’une délicieuse odeur de viande et d’oignons rôtis leur titilla les papilles.

- Ah, c’est toi mon gars ! Je croyais que c’était le parisien qui venait commander des volailles ! Tu n’as quand même pas laissé Colette toute seule ! Dans son état ! Le terme approche !
- Rassurez-vous, Belle-Maman, elle vous envoie des bises ! Sa copine Francine reste avec elle.
- Installez-vous, le père va bientôt rentrer, il est parti mener au fumier. Et du coup, vous allez dîner avec nous, tu ne m’as pas présenté madame, elle reste aussi ?
- Je profite d’être allé la chercher dans le coin pour venir prendre le petit chat que j’ai réservé à Pâques. Colette sera tellement heureuse d’avoir de la compagnie !
- Regardez-le votre matou, il est derrière la cuisinière, vautré sur la caisse de bois.
- Qu’il est mignon, je suis sûr qu’on va bien s’entendre !

Angèle ne perdait pas une miette de la conversation. Hormis La Noël, Pâques et la Toussaint, les visites étaient rares dans leur ferme perdue au milieu des champs. Elle était ravie malgré les haut-le-cœur qui l’assaillaient. Elle se sentait bizarre et son ventre grouillait. Plusieurs fois, elle s’esquiva aux cabinets aménagés près de la porte de l’écurie.
Le père rentra et, après l’accolade, chacun parla de ses affaires. L’agence notariale de François fonctionnait bien, les clients ne manquaient pas. Quant au père, il préparait les semailles et terminait de remettre de l’ordre dans les bois dévastés par la tempête de mars.
Tout naturellement, madame Leduc avait enfilé un tablier et donnait un coup de main pour éplucher les pommes de terre.

- Ça ne va pas Angèle ? Tu as l’air toute chose !
- J’ai dû prendre froid lors de ma promenade. J’ai la diarrhée.

- Installe-toi dans le fauteuil près de la cuisinière.

Comme s’il avait compris qu’il devait faire ses adieux, en ronronnant, le petit chat vint se lover sur les genoux d’Angèle.
On sortit le vin de noix. On trinqua.
Angèle aida cependant à mettre la table. On s’attabla, la conversation allait bon train.
Soudain, Angèle poussa un petit cri.

- ???
- C’est mon ventre, ça se tord là-dedans !

- Dans quinze jours, tu seras à terme, c’est peut-être des contractions !

Comme à l’accoutumée, le repas était simple, mais excellent. Pourtant, Angèle ne parvint pas à avaler la moindre bouchée. La nausée la prenait et son ventre se contractait régulièrement.

- Va t’allonger sur notre lit et laisse la porte ouverte ! On va te mettre la chaise percée, comme ça tu n’auras pas à courir. 

Le grand lit avec son matelas en plume était douillet, mais Angèle ne parvenait pas à se reposer. Les douleurs se rapprochaient. Qu’est-ce qu’il lui avait donc pris de succomber à ce saisonnier ? Elle savait que c’était mal, maintenant, elle expiait sa faute.
Il était si beau avec ses grands yeux marron, ses bras étaient si accueillants, ses baisers si tendres et ses caresses si douces. Et depuis que Colette était partie, elle n’avait plus personne avec qui partager ses secrets. Sa mère l’avait pourtant avertie, ces choses-là sont réservées aux gens mariés !
À la fin du repas, les contractions revenaient tous les quarts d’heure. On décida de profiter de la Juva 4 pour prévenir la sage-femme. Pendant ce temps, la mère et Madame Leduc préparèrent du linge et mirent à chauffer sur la cuisinière deux grandes lessiveuses d’eau. Heureusement, la semaine précédente, on avait descendu du grenier le berceau d’Angèle. Il trônait dans sa chambre, attenante à celle des parents.

Vers 14 h 30 le père retourna dans ses champs et François se rendit à son rendez-vous. Angèle s’allongea sans pouvoir se reposer, les douleurs revenaient régulièrement, la mère lui tenait alors la main et Madame Leduc la rafraîchissait en lui passant un linge humide sur le front et les lèvres.

Vers 15 h 00 la Traction de la sage-femme pénétra dans la cour en pétaradant. On ne se faisait pas de souci, avec elle, Angèle était entre de bonnes mains. Elle avait longtemps travaillé à Paris avant de venir s’installer dans le coin après la mort de ses parents.

(À suivre dans le Porte-Plume de février)
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