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Par Daniel DUBOURG

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Riches et pauvres

Les histoires de Nasreddine ne manquent jamais de saveur : malicieuses, empreintes d’absurde et toujours marquées par une réelle philosophie de la vie, elles forcent à la réflexion et, derrière leur apparente simplicité, révèlent des pistes insoupçonnées de bon sens.
Celle qui vient relate une situation qui perdure et s’accentue pour diverses raisons.

« Si la disette s’était installée durablement, elle n’atteignait pas tout le monde pour autant. Les caves et les greniers des riches étaient bondés de nourriture. Son épouse Khadidja lui proposa de se rendre chez les plus nantis afin de leur demander un peu de partage, ce qu’il accepta. Imam reconnu pour sa sagesse et sa tempérance, il n’hésita pas à faire la démarche.
Il rentra très tardivement de ses visites, complètement exténué, ce dont s’étonna son épouse qui s’empressa de lui demander des nouvelles :

- As-tu réussi ?
- Oui, mais à moitié.

- Comment cela ?

- Les pauvres n’ont eu aucune difficulté à accepter. »

Pour simpliste que semble cette courte histoire, d’un humour grinçant, dans laquelle généreux et non généreux ont un comportement très schématisé, elle affiche des positions très marquées.
Ceux qui n’ont pas grand-chose acceptent de donner un peu, avec une générosité, dirons-nous, naturelle, spontanée. Ceux qui sont déjà comblés en suffisance refusent de donner.

Qu’en est-il dans la réalité quotidienne ? Le fortuné se montre-t-il parfois, souvent ou toujours généreux, et en quelle occasion ?
Quant à celui qui a du mal à boucler le mois, qui tire le diable par la queue, qui se trouve en situation difficile, que ferait-il s’il se trouvait un jour en possession d’acquis très confortables ? Donnerait-il en se remémorant les moments difficiles ?

Dans quelle catégorie nous classons-nous, selon nos besoins et nos désirs ?
Sommes-nous vraiment en mesure de dire comment nous nous comporterions, même en ayant adopté une position acquise sur la question, d’autant que, pris au cas par cas, la décision de donner ou non repose parfois sur des critères venant infléchir celle-ci : je ne donne pas quand je ne connais pas, je ne sais pas où vont mes dons, je ne donne pas à un étranger, « ils » n’ont qu’à travailler, « on » nous demande trop souvent de donner, de donner toujours plus, il faut donner d’abord aux petits Français, que fait l’État ? La liste n’est pas close.

Cette histoire, comme beaucoup, évoque une situation dont le thème est récurrent et tend donc à prouver que les choses n’ont pas forcément changé, malgré de nombreux dispositifs et de pieuses intentions visant à éradiquer la pauvreté et le dénuement. Peut-être que les solutions sont ailleurs, encore à trouver. Peut-être, aussi, que nous devons, à tous les niveaux, repenser le partage et expliquer la générosité, selon les possibilités qui nous sont propres, en tentant de montrer les bénéfices non matériels qu’ils sont susceptibles d’apporter. Un travail individuel qui tend les bras.

NB : Nasreddine le hodja est une figure bien connue des Turcs et des Persans. Il vécut au 13e siècle.

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