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Par Édith PROT

Prot edith 3
 

Yolande de Bar

Il était une fois une jeune fille noble qui rêvait d’épouser un prince. Son père en trouva un, plus âgé qu’elle, mais qu’importe ! Elle l’épousa et finit par devenir reine. Un conte de fées ? Que nenni ! Mais heureusement pour elle, notre jeune femme avait de solides atouts pour faire face aux problèmes qu’elle allait rencontrer. Elle possédait en effet un caractère bien trempé, une intelligence exceptionnelle et une ténacité rare, mais surtout, c’était… une Meusienne.

Yolande (certains la désignent aussi sous le prénom de Violante) naît au château de Bar en 1365. Son père est Robert 1er, duc de Bar et sa mère est la sœur de Charles V, le roi de France dont Du Guesclin fut connétable. Une telle filiation la voue à un mariage politique qui permettra de resserrer les alliances d’une France en pleine guerre de Cent Ans avec un royaume voisin. C’est pourquoi, quand le prince héritier du royaume d’Aragon perd son épouse, on envisage aussitôt de lui faire épouser le veuf éploré. Il faut dire que l’enjeu est de taille : le roi d’Aragon, Pierre IV le Cérémonieux, qui possède le Roussillon et la Catalogne, aux portes de la France, est anglophile, mais on murmure que son fils, tout au contraire, éprouve une véritable sympathie pour son voisin français. Une rencontre est donc organisée entre Yolande, qui a à peine quinze ans et le prince héritier. Pour Jean, c’est un coup de foudre et il l’épouse à Perpignan quelques semaines plus tard. Puis il emmène Yolande à Saragosse, en Aragon, afin qu’elle fasse la connaissance de ses beaux-parents. Elle part confiante, ignorant que ceux-ci, qui espéraient marier leur fils à une princesse sicilienne, ont fait tout leur possible pour s’opposer à leur union. Inutile de préciser que l’accueil est glacial à leur arrivée à la Cour. Cependant, le couple tient bon, Yolande donne très vite un fils à son époux et s’efforce de tenir son rang malgré les conflits incessants avec sa belle-mère. Elle pense en avoir fini avec les humiliations lorsque Pierre IV meurt et que Jean monte sur le trône sous le nom de Jean 1er d’Aragon en 1387, mais elle se trompe, car sa belle-mère et ses partisans continuent à la dénigrer. Pour ramener le calme, Jean doit faire preuve d’autorité : il fait emprisonner sa mère et confisque ses biens. Ce sera le seul épisode de fermeté de son règne, car il est de santé fragile et souffre d’épilepsie, ce qui le contraint fréquemment à rester alité et à déléguer ses responsabilités à son épouse. Loin de s’en plaindre, Yolande s’épanouit dans ses fonctions et très vite, c’est elle qui va exercer le pouvoir, laissant son époux s’adonner à la chasse quand sa santé le lui permet, ce qui lui vaut le surnom de « Jean le Chasseur ». La reine-lieutenante, tout en donnant sept enfants à son époux, gouverne donc l’Aragon et fait de sa Cour un centre de culture où on parle aussi bien le catalan que le latin et le français. Les troubadours les plus célèbres de l’époque y croisent des savants réputés. Féministe avant l’heure, elle impose une certaine parité au sein du groupe de conseillers qui l’entourent et prend des décisions importantes pour améliorer le sort de ses dames de compagnie. Elle écrit beaucoup et correspond avec des intellectuels comme Guillaume de Machaut ou Juan Hernandez de Heredia. Mais cette période heureuse prend fin brutalement en 1396, lorsque son mari décède suite à un accident de chasse. Comme aucun des enfants mâles du couple n’a survécu, c’est le frère de Jean qui lui succède sur le trône d’Aragon. Priée de quitter Saragosse en emmenant sa fille avec elle, Yolande ne part cependant pas bien loin puisqu’elle s’installe à Barcelone. Là, elle se consacre à l’éducation de la jeune Yolande qui reçoit en outre une formation politique totalement inhabituelle pour une femme de cette époque. Comme son train de vie s’est considérablement réduit, l’ex-reine d’Aragon n’hésite pas à intenter un procès à son frère, le cardinal Louis de Bar, qui a fait main basse sur sa part de l’héritage de leurs parents. L’affaire prend du temps puisqu’elle n’aboutit qu’après le mariage de sa fille, mais sa ténacité lui permet d’obtenir une rente confortable pour elle ainsi que le duché de Bar pour son petit-fils. Elle peut alors terminer paisiblement sa vie en Catalogne, entourée d’artistes et de beaux esprits, et lorsqu’elle décède en 1431, elle a droit à des obsèques de reine puisqu’elle est inhumée au monastère de Santa Maria de Poblet, la nécropole des rois d’Aragon, aux côtés de son époux.

Bien que pratiquement oubliée par l’Histoire, cette femme exceptionnelle qui ne fut pourtant reine que 9 ans eut une descendance prestigieuse à commencer par sa fille Yolande (c’est elle qui, en pleine guerre de Cent Ans, devenue duchesse d’Anjou et possédant un caractère aussi trempé que sa mère, prendra sous son aile le dauphin Charles et le conseillera pour qu’il puisse accéder au trône de France). Mais ce n’est pas tout : son petit fils René, plus connu sous le vocable de « Bon roi René », fut duc d’Anjou, duc de Lorraine et de Bar,  comte de Provence et roi de Naples tandis que sa petite fille Marie, qui épousa Charles VII, fut la mère du roi Louis XI.  

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