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Par Édith PROT

Prot edith 3
 


Augustin Le Marlorat

Tout le monde connait l’Édit de Nantes (1598), qui mit fin aux guerres de religion, mais on a oublié que celui de Poissy (1562) aurait pu empêcher qu’elles éclatent. Il fut promulgué à la fin du colloque de Poissy, colloque réunissant deux délégations des religions qui s’affrontaient. Parmi les représentants de l’Église Réformée, un ancien moine catholique… un Meusien.

Augustin le Marlorat naît en 1506 à Bar-le-Duc. Il perd son père, un juriste réputé qui appartenait à la Cour des comptes de Bar-le-Duc, alors qu’il n’a que 8 ans. Selon le droit en vigueur à l’époque, c’est lui qui, étant le fils aîné, doit hériter des biens et de la charge de son père. Malheureusement pour lui, son tuteur pense (à juste titre) qu’il pourra plus facilement manipuler le fils cadet. Il confie donc Augustin à la congrégation des Augustins (oui, je sais, ça fait bizarre) de Bar pour qu’ils en fassent un moine. Aimant apprendre, il se montre docile et bon élève, étudie avec zèle les Écritures et prononce ses vœux pour devenir moine, renonçant du même coup à son héritage, ce qu’il ne comprend que trop tard. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il poursuit sa carrière parmi les Augustins, et acquiert une réputation de lettré et de fin prédicateur qui lui vaut une nomination au poste d’abbé dans un monastère de Bourges.

Ses supérieurs font alors une erreur de jugement qui va avoir de terribles conséquences. Ils lui demandent d’étudier les thèses de la cause réformée pour en tirer des arguments susceptibles de les contrer. Malheureusement, c’est l’inverse qui se produit et, au lieu de les combattre, il commence à prêcher les doctrines de la Réforme à Bourges à partir de 1533. Démis de son statut et de sa charge d’abbé, il doit s’enfuir à Genève où il trouve un emploi chez un imprimeur. Après avoir rencontré Calvin et Théodore de Bèze, il décide de devenir pasteur et s’installe à Crissey.

En 1561, il est envoyé à Rouen où les protestants réclament un pasteur depuis des mois et rédige en leur nom une pétition adressée au roi Charles IX demandant l’autorisation d’utiliser une église pour y célébrer leur culte. Lorsque la pétition est repoussée, Augustin ne se tient pas pour battu et adresse une Remontrance (une lettre) à Catherine de Médicis, la régente, pour se plaindre de la façon dont on traite les protestants en France.

Celle-ci, qui envisage de charger son chancelier de réunir un colloque pour harmoniser les relations entre catholiques et protestants, voit aussitôt en lui un interlocuteur de qualité et insiste pour qu’il fasse partie des pasteurs qui seront convoqués à cette entrevue. Michel de l’Hospital se charge de mettre en place cette réunion, espérant que les 40 prélats catholiques et les 12 pasteurs ainsi rassemblés réussiront à rétablir dans le pays « l’unité par la douceur ». Malheureusement les pasteurs, en particulier Augustin le Marlorat, vont passer le plus clair de leur temps à débattre avec les théologiens de la Sorbonne sur des sujets théologiques aussi stériles que fumeux comme « le Christ est-il réellement présent dans le pain lors de la communion ? ». Comprenant que les deux délégations ne parviendront pas à aboutir à un accord permettant une cohabitation harmonieuse, Michel de l’Hospital, un peu désabusé, conseille à Catherine de Médicis de promulguer un édit « a minima » qui permettra aux protestants de pratiquer leur culte, à condition toutefois que ce soit à la campagne ou dans des faubourgs éloignés des villes. C’est peu, mais pour les Guise, c’est déjà trop. À peine deux mois plus tard, ils violent l’édit en déclenchant un massacre à Wassy.

Inquiets, les protestants de Rouen prennent les armes et s’emparent de la ville. Tout en continuant à se déclarer fidèles au roi, ils forment un gouvernement autonome dirigé par trois chefs, dont Augustin. Un tel coup de force ne peut être toléré, bien entendu. En septembre, la ville est prise d’assaut et Augustin le Marlorat emprisonné puis jugé pour haute trahison. Condamné à mort, il sera exécuté en place publique le 30 octobre 1562.

Cette victime de la cause protestante ne fut hélas pas la seule, mais contrairement à beaucoup d’autres, il n’est pas tombé totalement dans l’oubli. Peut-être grâce à ses prières qui figurent dans le Psautier de Genève ou à son Thesaurus des critures Saintes, deux ouvrages bien connus et surtout encore très lus par les protestants. C’est sans doute ce qui explique que, le jour du 450e anniversaire de sa mort, en 2012, une délégation des protestants de Bar-le-Duc et de Saint-Dizier se sont réunis dans sa maison natale, au 54 de la rue des Ducs de Bar, pour honorer la mémoire de leur martyr. Pour la petite histoire, Martin le Marlorat, le frère d’Augustin, qui vécut dans cet hôtel particulier, fut anobli pour loyaux et zélés services rendus… à la Contre-Réforme. Peut-on imaginer des destins aussi radicalement opposés ?

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