Vendanges

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j’ai tendance à oublier les mauvais moments et à fixer les instants magiques… C’est peut-être un des secrets du bonheur !

Et j’ai remarqué que ces heures privilégiées étaient souvent faites de choses simples, qui ne coûtent rien et qui n’ont pourtant pas de prix.

J’ai gravé dans mon cœur un matin de septembre, j’ai fixé en mémoire une matinée magique. Mon ami Marcel m’avait proposé de l’accompagner dans ses vignes et d’en faire le tour du propriétaire. Il n’expliquait pas la vigne, il la vivait !

Pour chaque parcelle, il me racontait le cépage planté : ici, du chasselas romand, là, du gamay, plus loin de pinot noir…

Il me montrait aussi comment on taillait la vigne et me disait pourquoi le soleil se mariait avec le raisin… Il révélait enfin comment la brume de septembre caressait les grains pour leur murmurer des mots d’amour à l’oreille…

Car Marcel n’était pas seulement vigneron, il était aussi poète, philosophe et conteur ! Cet autodidacte aurait pu faire baver de jalousie tous les universitaires de la planète, mais il se défendait bien de connaître les choses, avec son bon sourire et son merveilleux accent vaudois…
Cette lumière de fin d’été faisait chanter les vignes et m’a fait enfin comprendre pourquoi Bernard Clavel nommait le lac Léman « Prince bleu, cœur de lumière ».
Puis nous sommes allés à la cave et avec Marcel, nous avons dégusté ses vins… à chaque variété, il me rappelait la parcelle visitée, le cépage utilisé ou parfois l’assemblage…

Marcel est parti rejoindre les vignes du Seigneur, emporté par un mal terrible, mais je suis sûr qu’il continue d’enchanter ses nouveaux amis avec son merveilleux sourire et son bon accent vaudois !

Je pense souvent à lui, qui m’expliquait que le vigneron indépendant réalisait seul toutes les étapes, de la plantation du cep de vigne à la commercialisation de ses bouteilles. Et parfois, je me dis que beaucoup d’auteurs, notamment ceux qui sont auto-édités, sont aussi des artisans, à la manière des vignerons, à tout concevoir pour réaliser leurs modestes ouvrages et à les proposer aux lecteurs lors de salons régionaux.

Il me semble que ça s’arrose, non ? Avec modération, bien sûr ! Enfin… pour le vin, mais jamais pour les livres…