Plume a lu201-janvier-1.jpg2021

Par Denys de JOVILLIERS
(Denis Laroque)

Laroque denis

Âme brisée
d'Akira Mizubayashi

 
Ame brisee

L’auteur
Né au Japon en 1951, il termine ses études à Paris avec une thèse de doctorat sur J.J. Rousseau. Depuis 1983, il enseigne le français à Tokyo. Il a publié plusieurs essais en japonais avant d’écrire en français des œuvres qui obtiennent plusieurs prix littéraires avec « Une langue venue d’ailleurs » (2010) et « Mélodie, chronique d’une passion » (2013). Son roman « Âme brisée », paru chez Gallimard en 2019, a obtenu le Prix des libraires 2020. L’âme est une petite pièce de bois déterminante qui influe sur la longévité et la sonorité du violon. Elle transmet les vibrations des cordes dans de corps de l’instrument. Sa taille et son positionnement sans collage exigent du luthier un ajustage de très haute précision. Il l’insert par les ouïes dans la caisse de résonnance à la fin de la fabrication.

Quelques dates :

  • Fin 1937, début 1938, massacres de Nankin. 150 000 à 300 000 morts.
  • 10 mars 1945 : Bombardement de Tokyo. 324 000 bombes incendiaires sur les quartiers populaires. 100 000 morts.
  • 6 et 9 août 1945. Bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. 110 000 à 250 000 morts.

L’histoire :

Tokyo, dimanche 6 novembre 1938. Le Japon et la Chine sont en guerre. L’impérialisme japonais et le totalitarisme qui l’accompagne imposent une adhésion manifeste aux ambitions du régime.

Le professeur Yu a formé un quatuor de musiciens passionnés avec trois étudiants chinois restés au Japon malgré les risques encourus. Subjugués par l’œuvre de Schubert, ils répètent les premières mesures de « Rosamunde ».  Mais on les soupçonne de comploter contre le pays. Des soldats font irruption dans la salle. Le quatuor est arrêté, le violon de Yu est détruit à coups de bottes. L’âme de l’instrument est brisée.  Horrifié, Rei, 11 ans, s’est caché dans un placard. Au cours de la fouille qui suit, le lieutenant Kurokami découvre l’enfant mais ne le dénonce pas. Désemparé, ce mélomane lui confie le violon détruit de son père et referme la porte du placard.

Déjà orphelin de mère, Rei est recueilli par un ami de Yu qui l’emmène chez lui en France. Déraciné, confronté à un deuil impossible, il décide de devenir luthier. Après un long apprentissage à Mirecourt puis en Italie, il entreprend à son retour en France de ressusciter, le violon du père disparu. Il y consacre sa vie.

J’ai aimé :

La mise en perspective de l’Orient et de l’Occident à travers la musique, la langue et le raffinement des cultures, les souvenirs.

L’écriture très soignée, l’approche linguistique originale, la rencontre au fil du texte de quelques mots japonais, d’idéogrammes, de transcriptions phonétiques qui révèlent des sonorités, des rythmes exprimant au plus près la subtilité des intentions et des sentiments des personnages.  Une partition de quelques mesures peut accompagner la narration au plus fort de l’émotion suscitée par une œuvre.

Le choix des mots, les marques de respect et de politesse, les délicates attentions des hôtes dans les scènes qui décrivent le cérémonial du thé matcha et préparent la résurgence de souvenirs suivis de révélations bouleversantes…

La portée symbolique de cette histoire touchante, le cheminement des personnages qui subliment la musique pour en faire la matière même de la vie et ainsi défier la mort. Le compositeur, le luthier, l’archetier et le musicien se rejoignent dans cette quête. Chacun se surpasse pour faire exister et transmettre une œuvre collective dont il a conscience qu’elle ne lui appartient pas.

Une citation :

« Chacun attendait la naissance des premières notes de Schubert qui revenaient de loin ce soir-là, de très loin, d’un autre monde ou même de l’autre monde, d’un temps et d’un lieu infiniment éloignés, d’une enfance assassinée, d’une mémoire ancienne déchirée, brisée, mutilée. » (p 211)

Pour prolonger la lecture…

Un peu de musique :

Les quatuors Rosamunde et La jeune fille et la mort de Schubert
La Gavotte en rondeau de Bach
Le concerto « À la mémoire d’un ange » d’Alban Berg.

Une escapade dans les Vosges :
Musée de la lutherie et de l’archèterie françaises, cours Stanislas à Mirecourt.

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