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Une chanson, les paroles, la vidéo d'un artiste,
le tout proposé par un auteur de PLUME

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Aliette SOMOT
vous invite à découvrir...


Mon pote le gitan

de Mouloudji

Auteur, compositeur, interprète, écrivain,
acteur, peintre et poète (
1922-1994)

Mouloudji

« Catholique par ma mère, musulman par mon père, un peu juif par mon fils…et athée grâce à Dieu ». Avec son humour, sa simplicité, son manque total d’ambition carriériste, Marcel Mouloudji fut surtout un homme libre.

Il passe son enfance à Belleville Ménilmontant en compagnie de son frère et de copains, parcourant les rues, la nuit, pour chaparder parfois des fruits invendus dans un entrepôt du côté du canal St Martin, parfois des livres que les gamins revendaient ‘20 sous la poignée’. Il devient vite le 1er vendeur du journal des ‘Pionniers rouges’ : ‘Mon camarade’. Il dit : « j’avais la rage de vendre ».
Saïd Mouloudji, son père, exilé Kabyle qui exerce le métier de maçon, inscrit ses deux enfants aux jeunesses communistes et les emmène souvent voir des spectacles dans un centre de loisirs pour ouvriers : la maison des syndicats de la Grange-aux-Belles où se produit, entre autres, le groupe de théâtre ‘Octobre’.

Dans les années 30, les partis de gauche, organisaient de nombreuses manifestations pour faire fleurir, chez les enfants d’ouvriers, leur côté artistique. Tous les talents trouvaient un emploi : mime, chant, claquettes, théâtre, danse.
Le petit Moulou, huit ans, chante des duos avec son frère et, grâce à son charme, sa vivacité d’esprit, il trouve là une ‘famille d’adoption’, et non des moindres, puisque Jacques Prévert disait de lui : « Il avait une voix vraie, vivante, troublante, drôle et parfois déchirante ». Il devient le ‘chouchou’ des artistes et des écrivains de Saint Germain-des-Prés. « J’ai demandé très, très tôt qu’on me prenne par la main » avoue-t-il en souriant. Et c’est ce que fait Itkine en le présentant à Jean-Louis Barrault. La rencontre est pittoresque car l’enfant toque à la porte - je cite – « d’une grande et longue pièce aussi dépouillée que le locataire » : J.L. Barrault était en train de faire ses exercices physiques en slip et il les continue sous les yeux surpris du petit. Barrault veut l’entendre chanter : Moulou entame l’Internationale. Le voilà mis sur la voie d’une carrière d’acteur, malgré ses jambes un peu maigres, qu’il revêt de chaussettes de laine, même en été, pour faire croire…
Malheureusement sa mère, Marie Roux, une Bretonne qui travaille comme femme de ménage, est sujette à des troubles mentaux de plus en plus profonds et doit être internée. Les enfants dorment chez l’un ou l’autre, particulièrement chez Barrault.

En 1935, Robert Desnos est le premier à travailler pour la publicité radiophonique. Dans l’une d’elles il doit dire : « Bébé, au dodo ! » et Moulou répond : « Oh, non ! Pas déjà ! », réplique que l’on s’amuse souvent à lui répéter, peut-être au cours des repas offerts tous les vendredis chez les Desnos. L’année suivante, Marcel Carné lui donne un petit rôle dans ‘Jenny’. Puis en 1938, dans ‘Les Disparus de Saint-Agil’ de Christian-Jaque, c’est un vrai rêve pour son frère et lui d’interpréter le rôle d’enfants qu’ils connaissent bien, puisque le film est tiré d’un livre de P. Véry que les deux frères avaient adoré.

Amoureux des mots, il veut tout lire. Se retrouvant sans travail, à l’âge de 16 ans, il commence à écrire son journal. Sa nouvelle, nommée ‘Enrico’ se transforme en roman avec le soutien de Simone de Beauvoir qui corrige le texte. « Je n’ai aucune imagination, je n’invente rien, j’écris ce qui m’arrive, c’est tout » répond-il à chaque interview. Ce livre obtient le Prix de la Pléiade en 1945 et Mouloudji continue d’écrire ‘toute sa vie’... sa vie durant.

Ce sont les années 50 qui confirment son succès comme chanteur-acteur : ‘La Complainte des Infidèles’ extraite du film ‘La Maison de Bonnadieu’, ‘Un jour, tu verras’ dont il écrit les paroles, dans ‘Secret d’alcôve’. Ses chansons sont sur toutes les ondes. Jacques Caneti, directeur des Trois Baudet, lui fait enregistrer ‘Comme un p’tit coquelicot’ : véritable triomphe ! Il est aussi choisi par André Cayatte, en 1952 pour tourner dans :’Nous sommes tous des assassins.’
Boris Vian cherche un interprète pour ‘Le Déserteur’, chanson bien trop engagée en 1954, à l’époque de la guerre d’Algérie. Il ne trouve personne. Mouloudji accepte à condition d’en changer quelques paroles : ‘Monsieur le Président’ doit être remplacé par : ‘Messieurs qu’on nomme grands’ et surtout la fin : ‘prévenez vos gendarmes que je possède une arme et que je sais tirer’, par : ‘prévenez vos gendarmes que je serai sans arme et qu’ils pourront tirer’. Malgré le point de vue complètement différent qu’implique ce changement, la chanson est censurée.

Années 60 : la déferlante des yéyés envahit les maisons de disques. Mouloudji crée la sienne après avoir quitté ‘Philips’. Il enregistre des centaines de chansons, en compose de nouvelles, écrit, peint. Sa femme, Louise Fouquet, dite Lola, est son imprésario durant toute ces années. Il a deux enfants : Grégory, en 60 et Annabelle en 67 qui est toujours dans le milieu de la chanson.

Au Théâtre de La Porte Saint Martin, on le retrouve sur scène avec Régine et Nicole Croisille dans une comédie musicale :’La neige en été’. Nous sommes en 1970. Il chante pour ‘ les petites gens’ dans les cantines, par exemple, où il interprète des chansons écrites pendant La Commune de Paris. Son père lui a inculqué des valeurs humanistes qui sont ancrées en lui. Dans son livre ‘Le petit invité’ il raconte qu’un jour, en rentrant de l’école, il s’aperçoit que son père, analphabète, tient à l’envers le journal qu’il fait semblant de lire. Mouloudji, bien sûr, se tait. Quand on l’invite à des émissions télévisées, il n’ose pas chanter ses nouvelles chansons de peur que le public n’aime pas. Il reprend ses anciennes chansons qui sont célèbres. C’est une des raisons pour lesquelles nous sommes privés de véritables bijoux comme ‘Autoportrait’ ou ‘Faut vivre’ : Pour le connaître, il faut aller le chercher. Avec Marcel Azzola, en 76, il enregistre une ‘Anthologie du Musette’ : ‘Et ça tournait’. Francesca Soleville, chanteuse de la ‘ Rive Gauche’ l’accompagne dans ses tournées, tournées discrètes, mais qui rassemblent un public fidèle. Hélas, en 92 il attrape une pleurésie qui lui laisse peu de voix. Néanmoins, il chante à Chateaubriand, en Loire Atlantique, où 27 jeunes communistes dont Guy Moquet, avaient été fusillés par les Allemands en 1941. Son dernier récital, à Nancy, il le donne en avril 94. Il part sans faire de bruit le 14 juin de la même année et est enterré au cimetière du Père Lachaise.

Parmi les quelques chansons connues des ‘gens d’un certain âge’, j’ai hésité entre ‘Un jour, tu verras’ et ‘Mon pote le Gitan’, que je vous propose d’écouter. Cette chanson a été composée par Jacques Verrière à la suite de la disparition de son ami Django Reinhardt. La version inédite, avec un faux départ (1955), est celle que je préfère, justement à cause du faux départ qui montre bien la façon libre et joyeuse dont Mouloudji abordait son métier. Le morceau de guitare, très entraînant, n’a pas été pour rien dans ce choix. La musique est l’âme de Django Reinhardt. Elle accompagne les paroles empreintes de tristesse de l’ami. Elle semble le consoler. Et puis ce gitan à qui l’on propose de devenir un musicien célèbre, mais qui se contente, pour toute réponse, d’un haussement d’épaule, c’est un peu Mouloudji : ‘ Au fond sa musique était pleine d’espoir’.

MON POTE LE GITAN
(de Jacques Verrières et Marc Heyral - 1959)

Mon pote le gitan, c’est un gars curieux
Une gueule toute noire, des carreaux tout bleus
Y reste des heures sans dire un seul mot
Assis près du poêle au fond du bistrot
Ce gars-là une roulotte se promène dans sa tête
Et quand elle voyage jamais ne s’arrête
Des tas d’paysages sortent de ses yeux
Mon pote le gitan c’est un gars curieux.

Mon pote le gitan, c’est pas un marrant
Et dans notre bistrot personne le comprend
Comme tous ces gars-là il a sa guitare
Une guitare crasseuse qui vous colle le noir
Quand y se met à jouer la vieille roulotte
Galope dans sa tête, les joueurs de belote
S’arrêtent et plus rien... on a mal en dedans
Mon pote le gitan c’est pas un marrant.

Mon pote le gitan un jour est parti
Et Dieu seul sait où il ballade sa vie
Ce type-là était un grand musicien
Ça j’en étais sûr, moi je le sentais bien
Le tôlier m’a dit qu’on est venu le chercher
Un grand music-hall voulait l’acheter
Mon pote le gitan, il a refusé
Un haussement d’épaule et il s’est taillé.

J’ai eu l’impression de perdre un ami
Et pourtant ce gars-là ne m’a jamais rien dit
Mais il m’a laissé un coin de sa roulotte
Et dans ma petite tête j’ai du rêve qui trotte
Sa drôle de musique en moi est restée
Quand je pense à lui, ça m’arrive de chanter
Toi sacré gitan qui sentait le cafard
Au fond ta musique était pleine d’espoir.

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