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Par Daniel DUBOURG

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De la philosophie à tout âge

Dans « Le Bourgeois gentilhomme », Monsieur Jourdain, désireux de s’élever socialement, se targuait de devenir un homme cultivé et s’était entouré entre autres, d’un maître de philosophie grâce auquel il avait appris qu’il faisait de la prose sans le savoir.
Sans nourrir le moins du monde la même intention, nous avons tous appris à manier certains outils, les yeux à peine ouverts sur la vie. Pour autant, ce n’est pas à l’aide d'un mode d’emploi que nous y sommes parvenus, mais tout simplement par l’expérimentation régulière et la pratique quotidienne. Et même si certains aînés nous ont parfois prêté main forte en répondant à nos questions ou en nous apportant des savoir-faire, nous avons progressivement conquis des apprentissages de façon personnelle. Ainsi, le langage, les formes d’expression artistique, la perception de notre entourage proche ou éloigné, la mathématique, la musique et le chant, l’usage de la voix, celui du déplacement…

Trop souvent à mon goût, le milieu scolaire n’a été considéré que comme celui des apprentissages, surtout fondamentaux, comme l’indiquaient les textes officiels. Bien entendu, cela tenait (et tient encore) à l’enseignant, quant à la conception globale de son métier.

Quand peut donc commencer l’apprentissage d’une « discipline » dont il n’est question qu’au moment de quitter les études secondaires ? Je veux parler de la philosophie.

D’ordinaire, force est de constater que cette dernière n’est abordée qu’en classe terminale. Et pour nuancer davantage, cette matière n’a pas de caractère obligatoire et n’est enseignée que dans certaines filières. Sans doute les concepteurs de textes officiels pensent-ils que, selon l’orientation choisie par les futurs étudiants, il est plus ou moins nécessaire de s’y intéresser, avec peut-être l’arrière-pensée que cette dernière n’a pas grande utilité pour le métier que l’on a choisi de pratiquer plus tard.
Voilà une marque de la conception que l’on peut se faire de la vie...
C’est vrai ! À première vue, à quoi peuvent bien servir des éléments de philosophie à une hôtesse de caisse, un analyste programmeur, une couturière, un magasinier, un médecin ou un expert-comptable ? Personne ne voit vraiment…

Considérée ainsi, la philosophie prend une forme utilitaire. On ne l’utilise que si l’on en a besoin. Un peu comme la culture, la musique, les arts plastiques et j’en passe… Et c’est ainsi que bon nombre de matières (dont la philosophie) sont les parents pauvres d’un enseignement (et non d’une éducation) prodigué pendant une vingtaine d’années, parfois davantage.

Les choses ont-elles changé de nos jours ? Je garde le souvenir d’une époque où la philosophie était enseignée essentiellement dans le but de faire le tour des idées que développaient des philosophes sur des sujets précis. Cela n’avait rien de très vivant, de très motivant, à moins d’être un passionné. Les élèves devaient ingurgiter des cours, mémoriser des conceptions, savoir les énoncer, les expliciter et les utiliser « à bon escient ». Redoutable, surtout lorsque l’on ne se sent ni motivé ni prédisposé, surtout lorsque cette philosophie a la réputation bien ancrée de ne pas trop servir à grand-chose d’autre que de manipuler des idées dans l’abstraction. Qui d’entre nous n’a pas entendu dire : « Ce n’est pas la philosophie qui va te nourrir ! » ?

Revenons un peu à monsieur Jourdain, ou plutôt imaginons un instant que nous puissions faire de la philosophie consciemment et dès le plus jeune âge. Bien entendu ce n’est pas à un enfant de trois ans que nous allons présenter les manuels dans lesquels s’empilent théories et conceptions les plus variées sur une kyrielle de concepts.

Les mots sont nécessaires pour exprimer, mais ils ne sont pas les seuls outils. Porteurs d’idées, de conceptions, d’opinions, de sentiments, ces derniers ont les moyens d’être reçus par tous. À l’aide de la pratique, des expériences et des ressentis, tout devient transmissible et ouvre la porte à la réflexion sans cesse en mouvement. Voilà ouvert le terrain de l’échange, de la concertation, de la critique, de la projection. Pas pour rivaliser et être à tout prix et si possible le meilleur, mais pour socialiser, apprendre à vivre ensemble et pratiquer l’entraide, pour avoir des projets communs, pour comprendre les cultures et l’autre, notre semblable, finalement.

Faire de la philosophie dès le plus jeune âge, c’est d’abord être certain que l’enfant comprend, qu’il a des choses à dire et qu’il est en mesure de recevoir et sûr d’être écouté. Tout est prétexte à réfléchir et à ne pas agir de façon mécanique, sans dressage ni formatage. Le milieu scolaire, comme le milieu familial, sont tous deux des espaces privilégiés pour aider l’enfant à réfléchir, à créer et imaginer. Lui offrir l’expression personnelle, c’est lui permettre d’émettre un avis, d’évaluer, de peser le pour et le contre, de se situer par rapport aux autres et au monde qui l’entoure. S’il n’a pas cette possibilité, comment peut-il former son esprit critique, comment peut-il travailler à sa socialisation et à sa vie intérieure afin de se sentir harmonieux ?
Je me rappelle cet enfant qui disait que « quelqu’un meurt quand il a eu tous ses âges ». Image poétique, mais aussi propos enfantin, point de départ ouvrant à bien des conceptions sur la vie et la mort.

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