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Par Édith PROT

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Jean-Baptiste (et Nicolas) Broussier

Rarement parents firent à ce point erreur sur l’avenir d’un enfant. Celui-ci ne rêvait que plaies et bosses et ils voulurent en faire un ecclésiastique ! Heureusement pour lui, l’époque était au changement et dès qu’il en eut l’occasion, il quitta le séminaire de Toul pour courir s’enrôler dans un bataillon de volontaires. Très vite, il s’y fit remarquer par sa fougue au combat, tout comme son cousin venu le rejoindre quelques mois plus tard. L’Église y perdit certes un prélat, mais la France y gagna deux généraux. Étonnant parcours pour deux petits paysans meusiens…

C’est dans le petit village de Ville-sur-Saulx que naissent Jean-Baptiste Broussier (en 1766) et Nicolas (en 1774). En 1791, Nicolas apprend que son cousin, pour qui il éprouve une grande admiration, a intégré le 3e bataillon de volontaires de la Meurthe dans lequel servent aussi Oudinot et Exelmans. Bien qu’il n’ait que 18 ans, il décide aussitôt de le rejoindre. Jean-Baptiste, qui vient d’être nommé capitaine, engage Nicolas dans sa compagnie. Rattaché à l’Armée de la Moselle, leur bataillon participe aux batailles de Valmy, de Jemmapes puis à l’expédition de Trêves, avant d’intégrer l’Armée de Sambre et Meuse. Ils paient tous deux de leur personne puisqu’ils sont tous deux gratifiés de plusieurs blessures graves. Leur bataillon est ensuite intégré dans l’Armée d’Italie en 1797. Très vite Jean-Baptiste qui s’est distingué à la prise de la Steppiza et a fait lui-même prisonnier un général autrichien, obtient de l’avancement et on le nomme général de brigade. La Campagne d’Italie prend alors un cours détestable. La population, excédée par les taxes levées pour entretenir les Français,  pourtant bien accueillis au début, commence à se révolter. Le bataillon de Jean-Baptiste participe à la bataille de Naples et à la « pacification » des Pouilles, longue suite de pillages et de massacres de villages entiers.

Cependant ce ne sont pas ces exactions, peu dignes d’un ancien séminariste, qui vont causer son rappel à Paris, mais une accusation de corruption. Il comparait, ainsi que plusieurs autres généraux, devant le conseil de guerre et se fait révoquer. Heureusement pour lui, plusieurs des militaires impliqués sont proches des milieux jacobins qui préparent un coup d’État. Il en résultera la nomination aux plus hauts postes du Directoire de militaires qui s’empresseront de rendre leur commandement aux condamnés, car la situation se dégrade en Italie. Dès son retour, Jean-Baptiste retrouve Nicolas, blessé une nouvelle fois, mais  tout auréolé de gloire après son coup d’éclat au passage du Mincio, ce qui lui a valu un avancement au grade de capitaine. Jean-Baptiste occupe trois ans les fonctions de gouverneur de la ville de Milan, puis quitte l’Italie avec Nicolas, devenu son aide de camp, pour prendre le poste de commandant d’armes de la place de Paris. On les retrouve à nouveau en Italie en 1809, face aux Autrichiens qui tentent de reconquérir le pays.

En avril, Nicolas sauve la vie de Jean-Baptiste, chargé par un hussard ennemi, en renversant l’Autrichien d’un seul coup de poing. À la bataille de Wagram, ils participent au sein de la « grande colonne de Macdonald », à la charge héroïque qui va décider de la victoire. Au cours de cette action, qui fait un nombre effroyable de morts, Nicolas a son cheval tué sous lui, mais repart au combat aussitôt. Comme les autres anonymes, il sera hélas oublié dans la distribution des récompenses qui honoreront leurs chefs. Par contre, Jean-Baptiste, en tant que général, sera fait Comte d’Empire et  Grand Officier de la Légion d’honneur. Les deux cousins regagnent ensuite l’Italie, où Nicolas tombe amoureux d’une jeune femme qui lui donnera trois enfants. En 1813, devenu colonel, il est toujours l’aide de camp de son cousin lorsqu’ils reçoivent l’ordre de se mettre en route pour la Campagne de Russie. Ils participent à plusieurs batailles importantes, dont celle de la Moskova, puis, lors de la retraite, leurs destins se séparent. Jean-Baptiste prend part à la Campagne d’Allemagne, s’efforçant de freiner l’avancée des troupes prussiennes en tenant la ville de Mayence, pendant que Nicolas, retourné en Italie, participe à la bataille de Parme au cours de laquelle il est blessé d’un coup de baïonnette.

Après l’abdication de Napoléon, les deux cousins demeurent dans l’armée et sont tous deux faits chevaliers de l’ordre de Saint-Louis. Nicolas reçoit le commandement d’un régiment en Corse et Jean-Baptiste le commandement militaire de Strasbourg, puis du département de la Meuse. C’est en allant prendre ses nouvelles fonctions qu’il décède, en décembre 1814, terrassé par une attaque d’apoplexie. Lorsque Nicolas apprend la nouvelle, il demande à être relevé de son commandement et rentre à Ville-sur-Saulx avec sa famille. Il ne semble pas qu’il se sente très concerné par le retour de l’Empereur, car fin avril 1815, il est encore à Ville-sur-Saulx pour y épouser la mère de ses enfants. Cette apparente neutralité trouve sa récompense pendant la seconde Restauration. Lors de la réorganisation de l’armée royale, au lieu d’être mis sur la touche avec une demi-solde, il obtient le commandement de la Légion de la Nièvre. En 1819, on lui confie un régiment qui participera à l’expédition visant à restaurer l’autorité du roi en Espagne. Le comportement de ses troupes lui vaudra de nombreuses récompenses puisque non seulement il acquiert le grade de Maréchal de camp (l’équivalent de Général de Brigade), il est décoré de la médaille de Charles III d’Espagne et fait Commandeur de la Légion d’honneur, mais en plus il obtient le titre de baron. Après un passage à la tête de la Légion de la Côte-d’Or, il est mis à la retraite en 1848. Il décèdera deux ans plus tard à Ville-sur-Saulx, lui aussi des suites d’une attaque d’apoplexie.

Aucune rue n’honore la mémoire de ces deux cousins aux destins si étrangement semblables. Seuls deux monuments rappellent le nom des Broussier à la postérité : le tombeau de Jean-Baptiste, obélisque pointé vers le ciel dans le cimetière de Bar-le-Duc, et, bien sûr, l’inscription sur la face nord de l’Arc de Triomphe de l’Étoile, où il figure en tant que héros de Wagram. Après tout, quand on y pense, tout le monde ne peut pas en dire autant !

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