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Par Édith PROT

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Pierre et Jean-Baptiste ALLIOT

Il est toujours délicat de se faire soigner lorsqu’on est chef d’état. Et c’est encore plus vrai lorsque le pays vient d’être confronté à une guerre civile. À qui se fier ? Remettre sa vie ou celle de ses proches entre les mains d’un ancien adversaire est loin d’être anodin… Alors, pourquoi ne pas faire appel à un étranger, surtout s’il a la réputation d’être un spécialiste du mal dont on souffre ? Les choses ne vont pas être aussi simples… En effet, lorsque le malheureux arrive, tous les médecins du pays qui s’entredéchiraient jusque-là font front contre l’intrus… Que dis-je, contre l’imposteur, le charlatan ! L’ignorant n’a même pas été formé dans une université digne de ce nom mais dans une petite faculté de médecine, installée depuis peu dans une ville inconnue à Paris : Pont-à-Mousson ! En un mot comme en cent, comment faire confiance à un médecin meusien ?

Pierre Alliot nait à Bar-le-Duc en 1610. Il est le descendant d’une famille noble florentine ruinée et déchue de son titre de noblesse. Une fois diplômé, il s’installe à Bar-le-Duc et succède à Jean Levrechon, son ami, à la Maison Dieu. Lorsqu’il est âgé de quarante ans, il publie un mémoire sur la façon de traiter les cancers, considérant que l’ablation des chairs suivie de la cautérisation au fer rouge (le tout sans anesthésie) n’est pas une réponse satisfaisante. Il préconise au contraire, lorsque les tumeurs cancéreuses n’en sont qu’à leur début, l’utilisation d’une poudre de son invention qui absorbe et durcit les chairs malades. Il suffit ensuite de les retirer avec un rasoir jusqu’à la zone saine. Un certain nombre de personnes soignées par ce médecin semblent avoir guéri de cette façon et la réputation de Pierre Alliot lui vaut d’être nommé médecin ordinaire du Duc de Lorraine Charles IV.

Lorsque Louis XIV apprend que sa mère Anne d’Autriche est atteinte d’un cancer du sein, le mal est hélas déjà très avancé. Redoutant que le doyen des médecins, un ancien frondeur, laisse sciemment mourir celle qu’il a autrefois combattue, le roi se tourne vers le Duc de Lorraine qui dépêche son médecin à Paris. Pierre Alliot prend le chemin de la capitale en compagnie de son fils Jean-Baptiste, jeune médecin frais émoulu de la même faculté que son père. Malheureusement, comme je l’ai dit un peu plus tôt, leur arrivée déclenche un véritable tollé et Pierre doit attendre plusieurs mois (!!...) avant de rencontrer sa patiente. Quand il est enfin autorisé à appliquer son traitement, il n’a plus aucune chance de la sauver. Il obtient tout de même un léger répit qui ne sera hélas que de courte durée. Après le décès de sa mère et bien conscient qu’il était trop tard lorsque Pierre Alliot a commencé ses soins, le roi lui conserve à tel point son estime qu’il le recommande à la Grande Duchesse de Toscane et lorsque Pierre Alliot décide de rentrer en Lorraine, où il décèdera en 1685, le roi demande à conserver son fils à son service.

Jean-Baptiste, né lui aussi à Bar-le Duc, demeure donc à Paris avec le titre de Médecin Ordinaire du Roi  puis de Médecin de la Bastille. Ce titre prestigieux pour un étranger lui donne accès à une clientèle huppée dont la Marquise de la Vallière, Madame de Sévigné et Madame Colbert font partie. Il devient riche et influent et c’est lui qui obtient du roi que Bar-le-Duc conserve ses murs dont la destruction, ordonnée par Louis XIII, devait suivre celle du château ducal. En 1697, il a le mal du pays et décide de rentrer en Lorraine. Le roi le charge alors de deux missions : rédiger un Traité regroupant les travaux de son père et escorter Charlotte d’Orléans, nièce du roi, qui doit se rendre à Nancy pour épouser le duc Léopold de Lorraine. Jean-Baptiste s’acquitte parfaitement de ces deux missions. En remerciement des services rendus, Léopold lui rend le titre de noblesse perdu par ses ancêtres et le nomme Premier Médecin et Surintendant des Eaux Minérales de Lorraine. Il sera ainsi à l’origine du développement du thermalisme à Plombières-les-Bains. Il rentre ensuite à Bar-le-Duc pour y finir ses jours en 1729. Le Traité sur le cancer réclamé par Louis XIV, publié en 1698, est signé par Jean-Baptiste, mais c’est vraisemblablement son fils, Dom Hyacinthe, qui l’a rédigé. On y trouve la recette approximative de la poudre miracle, à base d’arsenic rouge… Ne ricanez pas ! En 2003, des chercheurs américains très sérieux se sont inspirés de cette formule pour créer une nouvelle chimiothérapie qui semble particulièrement efficace sur les leucémies. Avec ses pauvres moyens, Pierre Alliot fut bel et bien un précurseur dans sa spécialité !

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Commentaires

  • serge beyer

    1 serge beyer Le mardi, 03 novembre 2020

    Très intéressant, mais le fait d`être habitué à cela n'empêche pas de le redire !
    Il semble que certaines civilisations bien avant notre ère, sur d'autres continents, soignaient déjà ces "crabes" avec des poudres contenant de l'arsenic. On dit aussi que, si certains en guérissaient, c'était souvent pour mourir empoisonnés.

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