Là est la question
« Je pense, donc je suis », a dit Descartes. Affirmation lapidaire composée de deux propos dont le second découle du premier, de façon automatique. Il suffirait donc de penser pour être, ce qui implique par voie de conséquence que toute créature, tout élément supposés non pensants ne sont pas, n’existent pas, dans la mesure où être, c’est exister, faire partie intégrante de la création, d’un tout.
Bien entendu, il conviendrait de définir ce qu’est le vivant, ce qu’est le fait d’exister, d’être. Mais prenons tout simplement le parti de considérer ces choses comme communément acquises, en référence à l’entendement collectif.
L’homme pense. Il est donc. Mais que dire de ceux qui font partie des règnes animal, végétal et minéral ? A priori, l’homme ne leur reconnaît pas la faculté de penser. Par conséquent, un tel raisonnement conduit à penser, justement, que l’éléphant et le lion, le rosier, la pomme de terre et le persil, et plus encore le marbre et de vulgaires cailloux ne sont pas et ne feraient donc pas partie de ce que nous appelons communément la création, l’univers.
À chacun de penser ce qu’il veut. Cependant, on peut se poser plusieurs questions. Qu’implique ce statut de penseur ? L’aptitude à penser nous confère-t-elle des privilèges, des droits et des devoirs envers les autres règnes ?
Nous devons d’abord avoir conscience de notre aptitude à penser, savoir ce qu’elle nous offre de possibilités à comprendre la vie dans l’intégralité de ses manifestations, à comprendre le sens de ce concept dans toute sa complétude.
Penser : concevoir, réfléchir, méditer. Voici trois définitions données par le dictionnaire. L’homme penseur est pourvu de facultés inestimables, sans doute dans le but de les mettre à profit, au service de diverses et multiples réalisations : créer, imaginer, inventer, élaborer en tous domaines, formuler des hypothèses, bâtir des projets, définir des objectifs, déduire, analyser, comprendre le sens caché sous l’apparent et le visible, au-delà du manifeste et du palpable, le tout étant de savoir quelles intentions sous-tendent ses actions. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », a écrit un certain Rabelais, dans Pantagruel.
Chacun différant de l’autre, les humains sont source d’évolutions, de changements, de progrès, de créations en tous genres et en tous domaines d’expression. Cette dynamique inhérente à notre être doit trouver son sens et sa cohérence. En effet, on ne peut se contenter de dire que l’on pense sans s’interroger un instant (et pourquoi pas souvent ?) sur la nature et la destination de cette pensée.
La pensée peut-elle s’offrir le luxe d’éviter l’examen et la critique, alors qu’elle est si florissante ? Il faut aller au bout de cette faculté pour lui donner sens.
Si être est penser, il faut aussi s’interroger sur nos relations avec ce qui nous constitue et ce qui nous est proche et lointain, sur notre environnement et les raisons de notre cohabitation, de notre inclusion dans un milieu que nous connaissons plus ou moins.
Déjà, nous ne vivons pas seuls, isolés de tout, mais bien entourés d’un univers immédiat, complexe, exploité à l’extrême depuis des lustres, et dont nous tirons profit au quotidien. Celui-ci, du plus petit atome à l’impalpable, inclut les trois règnes évoqués plus haut : le minéral, le végétal et l’animal. Si ces trois-là ne sont pas animés par la pensée, selon la définition caractérisant l’humain, il n’en est pas moins vrai que, sources d’échange avec l’humain, ils constituent un tout avec nous. Donc ils sont, ils existent puisque leur présence est partie constituante de la vie, de notre vie. Ils collaborent (travaillent avec).
Voici qui mène à penser. Ce qui est n’est pas que ce qui pense et tous les règnes méritent attention et respect. Être ou ne pas être ; là n’est sans doute pas la seule question.
|