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Par Jean-Luc QUÉMARD

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La Commanderie de Marbotte

(Toutes les photos peuvent être agrandies d'un simple clic)
 

Le village de Marbotte est plus connu pour être victime des bombardements allemands lors de la Grande guerre, notamment en 1915 où l’église miraculeusement épargnée sert de dépôt pour les cadavres de nos braves soldats tués au cours de la bataille du saillant de Saint-Mihiel.

À mi-chemin entre Marbotte et Mécrin, à deux cents mètres environ de cette petite route départementale qui relie ces deux villages, nous pouvons apercevoir plusieurs bâtiments appartenant à une importante exploitation agricole. Les touristes ou les passants occasionnels peuvent éventuellement se laisser séduire par cette représentation quelque peu tronquée. Ce site est en effet digne d’intérêt, car il s’agit d’une ancienne Commanderie, aujourd’hui, transformée en ferme.

Qu’entend-t-on par le vocable de Commanderie ? Est-ce comme nous pouvons le supposer, un État-major d’une unité militaire qui aurait été installé en cette localité ?

Cette apparence est en toute interprétation erronée. Il faut remonter au XIIIe siècle où un certain Gobert d’Apremont fait don aux Bénédictins d’un prieuré qui devient par la suite une Commanderie, celle de l’Ordre des Templiers. À la dissolution de ce dernier, il est transmis à l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem auxquels il appartient jusqu’à la révolution (l’église de Marbotte possède en son sein, un vitrail dédié à cet Ordre).  De son caractère religieux, ce prieuré évolue sous la gestion de cet Ordre en une entité administrative. À sa tête, un Commandeur est chargé de l’administration foncière d’une circonscription territoriale. Cette Commanderie a appartenu à plusieurs Ordres militaro-religieux tels que : l’Ordre des Templiers, l’Ordre des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, l’Ordre des chevaliers de Malte etc. La création de cette institution voit le jour vers le milieu du XIIe siècle, c’est une des premières maisons établies en France par les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem et depuis, elle dure tant que les Ordres « militaro-religieux » subsistent, c’est-à-dire jusqu’à la révolution.

Le premier Commandeur connu est le Sieur Thierry, qui en 1338 devient maître de l’hôpital de Marbotte. Le dernier Commandeur de Marbotte et de Doncourt est Monsieur Jean-Baptiste de Circourt, expulsé en 1792 lors de la révolution. Cette dernière sonne le glas de cette institution moyenâgeuse, la Commanderie a vécu. Elle est ainsi cédée le 13 ventôse an II[1] à Mr Jean Evre Moey, le fermier du Commandeur de Marbotte. Depuis ce jour, la chapelle attenante est transformée en grange et remise à bois, les tours sont détruites ainsi que des structures rappelant la religion. Malgré les logis surtout dégradés en 1914, elle sert de poste de secours et d’hôpital militaire improvisé lors des combats du saillant. Depuis, tous ses bâtiments quelque peu malmenés ont été restructurés et modifiés.

Durant la période médiévale, son infrastructure ressemble à un fortin, comprenant des bâtiments formés par un colombier, une écurie, le logis du Commandeur, celui du fermier, une remise, une étable et la chapelle. L’ensemble est protégé en externe par une muraille garnie de bouches à feu et encadrée par deux tours. Aujourd’hui, il ne reste que les bâtiments internes restructurés et une partie de la muraille.

Concernant le rôle du Commandeur, subsistent quelques écrits dont un qui certifie en 1588 la présence d’un certain Sieur Jacques. Il a été contesté par les villageois de Mécrin lorsque ce dernier refuse de participer au financement de la fortification de cette localité. En effet, ce dignitaire militaro-religieux a récusé cette demande prétextant que ce n’est pas de son ressort de dépenser son argent pour un village qui n’est pas reconnu comme étant vraiment sa propriété. La fonction du Commandeur n’a jamais été bien précise. Il s’agit en premier lieu de placer des gentilshommes qui ont lors des croisades rendu d’imminents services à la couronne de France. Ils sont recommandés et préemptés plus par leur tempérament guerrier que par leur érudition et leur capacité intellectuelle. À l’époque, cette promotion pour les bénéficiaires est considérée comme une juste récompense. Le Commandeur est surtout chargé de l’administration d’un territoire comprenant plusieurs villages, d’y recueillir les dîmes et autres taxes pour subvenir à l’Ordre et à l’effort de guerre souvent engagé pour des expéditions en terre sainte ; puis par la suite pour assurer des revenus au duché de Lorraine et à celui du royaume de France lorsque les trois évêchés de Verdun, Toul et Metz tombent dans son giron (termes d’un accord signé le 14 avril 1681). Ces Intendants sont installés dans des Commanderies réparties un peu partout sur le territoire et servent également d’agents de renseignements. Ainsi le Commandeur de Marbotte, le sieur Chevalier Charles de Baudier, seigneur de Virginie, fait en 1685 assigner en justice pour des fadaises auprès du bailliage de Saint-Mihiel, un de ses administrés, le Sieur Humbert Santin résidant à Pont-sur-Meuse.

Pareillement à l’ère de la féodalité, la Commanderie est installée sur un territoire pourvu de fermes, de terres, de forêts pouvant contribuer à sa richesse. Le Commandeur peut également résider dans un hôtel particulier. Celui de Marbotte séjourne dans le sien et de temps à autre à Saint-Mihiel. Afin d’assurer pour le mieux ses tournées d’inspection de son vaste domaine qui s’étale sur dix-neuf localités, il possède également un gîte étape à Saint-Agnant-sous-les-Côtes. La ferme de la Commanderie de Marbotte empiète sur cinquante hectares dont quarante-trois de forêts. Les revenus de la Commanderie sont dès lors assez conséquents. Elle détient des droits seigneuriaux sur plusieurs villages tels Mécrin, Pont-sur-Meuse. Malgré cet enrichissement, elle éprouve néanmoins au fil du temps quelques difficultés financières. Est-ce dû à une fâcheuse gestion ? Néanmoins, ces contraintes budgétaires l’obligent au XVIIe siècle à se rattacher à d’autres Commanderies telles que Robécourt[2], Saint-Jean-du-Viel-Aître (proche de Nancy). Puis, elle fusionne définitivement avec celle de Doncourt dans la Woëvre que l’on connaît à ce jour sous le vocable de Doncourt-aux-Templiers, et à juste raison.


[1] Le 13 ventôse an II correspond au 3 mars 1794.

[2] Village faisant partie du canton de Darney (88), à la limite des Vosges et de la Haute-Marne

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La Commanderie vue de la route de Marbotte à Mécrin Détail du mur de l’ancienne chapelle à l’arrière de la commanderie Détail du mur d’enceinte
comprenant des bouches
 à feu
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Vue interne du principal
corps de logis
Vue interne du 2ème corps de logis et de la chapelle Détail du blason dédié à l’ordre de St-Jean de Jérusalem (linteau d’une fenêtre).

 

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