Adeline Lanthenay
Tous les mélomanes qui ont entendu parler d’Eric Satie évoquent aussitôt son célèbre « Gymnopédies » lorsqu’on cite son nom. Mais on cite bien moins souvent cette œuvre de haute tenue dont voici quelques paroles :
« Elle danse presque automatiquement
Et soulève, oh ! Très pudiquement
Ses jolis dessous de fanfreluches
De ses jambes montrant le frétillement
C’est à la fois très, très innocent
Et très, très excitant »
Et pourtant c’est lui qui en a composé la musique, pour l’offrir à la star de la valse lente que le tout Paris courait applaudir tous les soirs dans les music-halls de la capitale. Qui était donc cette chanteuse adulée qui savait si exactement ce qu’elle voulait (ou ne voulait pas), qu’elle n’hésita pas à payer à un cabaret un dédit de 6 000 francs, "uniquement parce qu'elle n’acceptait pas les rôles extrêmement déshabillés qui lui étaient distribués !" ? Une Meusienne…
Marie Rosalie Adeline naît à Liny-devant-Dun en 1870. Son père est cordonnier et on ne peut pas dire que les music-halls foisonnent dans ce petit village. Marie Rosalie, qui a une jolie voix et un physique agréable à regarder remporte donc ses premiers succès dans les bals de village avant d’être remarquée par un parisien de passage qui la convainc de « monter » à Paris. Marie Rosalie disparait, place à Adeline Lanthenay (pseudonyme fabriqué à partir de noms de famille de son père (Adeline) et de sa mère (Lentenet). Très vite, elle se produit dans plusieurs petits cabarets et obtient un tel succès que La Scala, un des plus grands music-halls parisiens de l’époque (1400 places), l’engage comme meneuse de revue en 1895.
Elle quitte la Scala en 1898 pour le Théâtre des Variétés où elle joue dans deux opérettes, « La belle Hélène », et « Les carnets du diable ». La troupe part ensuite pendant un an en tournée en Amérique du Sud où elle fait un triomphe. À son retour en France, Adeline est une vedette à part entière, considérée, avec Paulette Darty, comme une des reines de la valse lente à thème sentimental. Elle donne des tours de chants avec les vedettes du moment au « Casino de Paris », fait la couverture de revues de chansons, et enregistre plusieurs disques pour les studios « Pathé ». Dans toute la France, les heureux possesseurs de gramophones s’arrachent les disques des chansons qu’elle a créées.
Pourtant, en 1912, elle abandonne la scène en pleine gloire pour se marier, non pas avec un de ses admirateurs fortunés, mais avec un obscur journaliste, rédacteur d’un petit journal de gauche, laïc et anticlérical, « Le petit Bleu ». Adeline redevient Rosalie, ou plutôt Madame Oulmann et vit une vie bourgeoise sans histoire jusqu’en 1940, date où le journal de son époux est interdit, Alfred étant juif, et où ils doivent fuir le régime de Vichy. Ils survivent tous deux au conflit et regagnent Boulogne-Billancourt. Marie Rosalie y décède en décembre 1952 et Alfred ne lui survit que quelques mois.
Pour ceux qui sont curieux d’entendre la voix de celle qu’on appelait Adeline Lanthenay, deux solutions : retrouver un de ses 78 tours et posséder un gramophone, ou acheter (vous pouvez aussi l’emprunter dans une discothèque) le coffret de CD « Anthologie de la chanson Française 1900-1920 » : vous y trouverez quatre chansons interprétées par cette artiste oubliée : Caresses andalouses - Chandelle est morte - Le cœur de Ninon - Les caresses.
|