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Et c'est celle de...
Thomas robert
Robert THOMAS

Ce n'était pas prévu !

Sabrina est aux anges. Sa rencontre avec Jérémy l’a comme illuminée. Il n’a pas fallu longtemps pour que son esprit s’enflamme, et son cœur aussi. Pour au moins la cinquième fois ce soir, elle répète à Léa, sa sœur et meilleure confidente, les circonstances qui lui ont fait croiser le chemin de ce garçon. Un pur hasard qui s’est joué à une minute près. S’il n’y avait pas eu ce sacré moteur qui souvent refuse de se lancer, sans doute n’aurait-elle jamais fait sa connaissance. Sur le parking du supermarché, il était garé à quelques places de celle où stationnait la vieille Renault 5. Il a proposé ses services, en bon mécanicien qu’il est. Mais c’est plus sa jolie petite gueule de séducteur que son talent à faire redémarrer l’horrible caisse qui a impressionné celle qui en est la conductrice. Pour le remercier, elle lui a proposé une bière qu’il a bue, installé auprès d’elle dans la vieille guinde. Ils y ont passé un peu moins d’une heure à discuter. Un moment qui lui a paru vite écoulé auprès de ce jeune homme robuste, souriant bien que timide et finalement assez peu causeur. C’est elle qui a alimenté la conversation tandis qu’il la regardait de ses beaux yeux rêveurs semblant parfois un peu perdus dans le vague.

– J’aimerais te revoir, lui dit-elle au moment où il voulut regagner son propre véhicule.
– Pas de souci, c’est quand tu veux. Demain je termine à 17 h 30. Si tu veux, on se retrouve ici. Si ça te dit, on ira faire un tour sur les hauteurs pour admirer la ville au moment où elle s’éclaire. Tu verras, c’est un très beau point de vue.
– Eh bien, avec plaisir ! 18 h 00 demain ! Même endroit !
– D’accord. Si tu veux, on prendra ma voiture. Je n’ai pas trop confiance en la tienne…!
– Donne-moi ton numéro de téléphone, au cas où…!

Alors minutieusement, elle a enregistré les dix chiffres, les répétant deux fois pour s’assurer de ne pas commettre d’erreur.

– On se parle un peu ce soir si tu veux, a-t-elle ajouté avant de lui coller un joli baiser bien claquant sur la joue, puis elle l’a regardé s’éloigner.   

La R5 a démarré après un mauvais grognement. En passant à la hauteur de Jérémy, Sabrina a baissé la vitre et lui a lancé :

– Merci encore ! À demain !

Elle est cash, n’ayant jamais froid aux yeux. Elle a pensé qu’elle avait là une belle chance à saisir. En se confiant à sa sœur, elle se voyait déjà tout faire en tout cas pour ne pas la gâcher, malgré cette satanée convocation d’un employeur pour le lendemain, trouvée dès son retour à la maison.  

– Allez, il faut m’en dire plus. Il est mignon comment ?
– Mignon, plus que ça… À croquer, si tu vois ce que je veux dire….
– Et tu vas le revoir ?
– Oui, demain ! Mais je risque de ne pas être rentrée à temps à cause de cette foutue  convocation !
– Ah la vache, tu ne perds pas de temps ! Et en plus, c’est un spécialiste de la mécanique ?
– Oui, à ce qu’il m’a dit, dans un garage de la ville.
– Et tu crois qu’il sait s’occuper de toutes les mécaniques ?
– J’en ai bien l’impression. Ce n’est pas un grand parleur mais tu verrais comme il est sculpté ! Ça doit être chaud au lit avec lui…!

Les deux filles ont encore un peu discuté puis Sabrina a passé le reste de la soirée à fantasmer. Il lui en a fallu de la volonté pour s’obliger à n’envoyer à Jérémy aucun message, histoire de le tester et de voir s’il viendrait quand même le lendemain.
 

***

La nuit lui a paru sans fin. Jérémy n’a pas pu dormir. Il a peur. Il sait qu’il était parti fébrile, mais il ne comprend pas comment il a pu à ce point déraper. Il a suffi d’un court instant, et il a perdu la tête.  Elle était venue au rendez-vous, à l’heure et en bus dont la station d’arrêt n’était pas loin. Quand ils se sont retrouvés sur le parking, il avait immédiatement été fasciné par cette jupe si courte et ces jambes si belles à voir. Adossé à la carrosserie de son Nissan 4x4, il l’avait vue s’approcher avec ce petit air de désinvolture provocante qui lui allait si bien et qu’il n’avait pas remarqué la veille. C’est lui qui avait pris l’initiative de l’embrasser sur la joue en lui souhaitant la bienvenue. Elle l’avait regardé avec un sourire amusé. Puis sur son invitation, elle avait embarqué dans le véhicule dont tout à l’intérieur respirait le neuf. Pendant un long moment, elle l’avait scruté attentivement, avant de lui sourire à nouveau. Il avait alors été le premier à briser le silence.

– Alors on va sur les hauteurs, comme on a dit ?
– Oui, on y va. Le point de vue est magnifique de là-haut. Nous y sommes déjà allés, en famille. Vue du belvédère, la ville est très belle.
– Tu sais, on va se mettre dans l’ambiance dès maintenant. Tu fais comme moi, on éteint nos téléphones et on oublie le reste du monde.
– Oui, tu as raison. On peut s’en passer pour une heure ou deux.
– Dis-moi, tu ne devais pas m’envoyer un petit message hier ? J’ai attendu longtemps et je m’étais déjà mis dans la tête que tu ne viendrais pas. Les filles sont souvent comme cela, versatiles. Je suis habitué.
– Ah bon ? Habitué ? Pourtant, tu n’es pas mal comme garçon et les râteaux,  je n’ai pas l’impression que ce soit pour toi.

Jérémy avait roulé tranquillement, mais il semblait avoir l’esprit préoccupé. Elle parlait, mais il n’entendait que des bribes de discussion. Il n’osait pas regarder les cuisses de sa passagère, très exposées pourtant à sa vue. Il en était perturbé et sa main au moment de passer les vitesses aurait aimé se promener ailleurs, irrésistiblement. Il se surpassait pour se maîtriser et revenir alternativement à la discussion afin de ne pas attirer l’attention sur son supplice. Ils étaient enfin parvenus à destination, mais au lieu de s’arrêter au pied du chemin qui menait au belvédère, il avait proposé d’aller un peu plus loin, à un endroit où le panorama valait selon lui encore plus la peine d’être apprécié. La voiture avait encore parcouru environ cinq cents mètres et Jérémy l’avait garée dans un petit réduit qui n’était finalement visible que si on en connaissait l’existence. Tous deux avaient alors suivi un sentier très étroit qui ne permettait de marcher qu’à la file indienne. Il la précédait et elle le suivait avec une belle énergie. Le sentier prenait fin à l’endroit où une saillie dans les buissons bordant un à-pic profond permettait effectivement d’avoir un autre point de vue sur la ville. Ils avaient alors été en admiration pendant un instant et elle s’était tue, comme pour mieux apprécier le spectacle. Lui ne regardait pas vraiment la ville. C’est elle qu’il regardait et plus les secondes passaient, plus le souffle de Jérémy se faisait oppressant, plus son cœur battait d’une façon incontrôlée. Il sentait progressivement resurgir ses démons. Il s’était alors approché d’elle et sans qu’elle s’y attende, avait commencé à faire glisser une main sous sa jupe. Il n’avait pas fallu longtemps pour qu’elle le gifle en le remettant verbalement à sa place. C’est là que les choses s’étaient emballées. Il l’avait saisie de façon à la maîtriser et comme elle se débattait, il l’avait violemment frappée. Elle n’était pas de taille face à la corpulence du jeune homme et à la force qui en émanait. Il n’avait donc eu aucun mal à la brutaliser pour l’immobiliser au sol et empêcher tout mouvement et tout appel à l’aide. Puis il l’avait violée sauvagement. Lorsqu’il réalisa qu’il avait atteint le point de non-retour, il pensa qu’il n’avait plus d’autre moyen que celui d’achever son forfait. Il s’était alors acharné sur la pauvre fille, lui écrasant la tête à plusieurs reprises avec une grosse pierre. Il avait extrait le téléphone portable de la poche du veston de cuir qu’elle portait, et il avait fait rouler le corps en contrebas où on ne pouvait absolument pas l’apercevoir.

De retour chez lui, il essaya à maintes reprises de résumer la situation, mais il avait beaucoup de mal à se concentrer. Du téléphone de la victime, il avait extrait la puce qu’il avait aussitôt fortement endommagée et jetée dans un caniveau. Il n’y avait pas de risque de ce côté-là. Quant au smartphone lui-même, il l’avait écrasé en roulant plusieurs fois dessus avec son 4x4. Il avait ensuite minutieusement collecté tous les morceaux qu’il avait répartis en divers endroits de la ville, dans des poubelles de trottoirs. Pouvait-on remonter jusqu’à à lui à cause de ce numéro enregistré la veille ? Pas de communication qui puisse permettre d’établir un lien avec lui, aucune conversation, pas même un simple bip. Dans sa tentative de résister, la fille n’avait par ailleurs laissé aucune trace, ni griffure ni blessure, mais il prit cependant la précaution de fourrer tout le linge qu’il portait dans un sac qu’il alla déposer à un point de collecte de vieux vêtements. Il avait alors pensé qu’a priori, il ne devrait pas être inquiété.
 

***

Après cette nuit sans sommeil, il était donc allé travailler comme si de rien n’était, même s’il avait du mal à contrôler tout autant ses pensées que ses gestes. Aussi fut-il très surpris lorsque dans la journée, son chef d’équipe l’appela et le guida vers deux gendarmes venus le rencontrer pour l’interroger. Il tenta de conserver au mieux son calme, et affirma qu’il ne connaissait pas cette Sabrina Deveaux dont ils lui parlaient. Il répondit à leurs questions avec précision, sans montrer le moindre trouble et faisant preuve de beaucoup d’assurance. Néanmoins, les enquêteurs insistèrent davantage qu’il ne l’aurait souhaité, ce qui progressivement le rendit un peu plus nerveux. Ses réponses s’avérèrent moins nettes, plus imprécises non pas à cause de leur contenu, mais du fait de la forme d’agacement mal assuré dont il finit par faire preuve. Il eut au bout d’un certain temps l’impression que leurs questions étonnamment orientées reflétaient des sous-entendus qui l’étonnaient. Et comme il devint de plus en plus récalcitrant à leur répondre, ils l’invitèrent à les suivre au commissariat. Mais au bout de deux heures d’interrogatoire plus poussé, comme il n’avait finalement pas craqué, mais au contraire repris progressivement son assurance, ils sortirent leur carte maîtresse. Ils firent appeler le témoin et Sabrina apparut dans l’embrasure de la porte.

– Sabrina ? Non, non ! C’est impossible !
– Comment ça, impossible ?
– Mais pourtant je t’ai… enfin tu es…
– Qu’as-tu fait à ma sœur ? Elle n’est pas rentrée après être allée au rendez-vous ?
– Ta sœur ? Comment ça ta sœur ? C’était pourtant bien toi…
– Salaud ! Que lui as-tu fait ? Où est-elle ?
– Mais, je ne comprends pas.  Là-haut, toi et moi…
– C’est Léa, ma jumelle parfaite qui était avec toi ! Avant-hier soir quand je suis rentrée, j’avais une convocation d’un éventuel employeur pour le lendemain, et pas la porte à côté. Alors j’ai proposé à Léa d’aller à notre rendez-vous à ma place, histoire d’avoir son avis. Elle s’est prise au jeu et c’est elle que tu as vue. Alors, où est-elle ? Que lui est-il arrivé ?

Jérémy baissa alors les yeux, car il venait de comprendre qu’il était cuit.

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