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Par Édith PROT

Prot edith 3
 


RENAULT OUDINOT

On m’a souvent demandé où je trouvais la trace de mes inconnus… Partout, en fait… Vous en voulez une preuve ? Étant allée récemment à Madère, j’ai été fort intriguée par deux rivières qui convergent vers le centre de Funchal, la capitale de l’île. On leur a creusé des lits très larges et on a bétonné leurs berges avec des murs de plus de six mètres de haut alors que ces rivières ne sont que de pauvres ruisselets faméliques qui peinent à se frayer un chemin entre les galets et les buissons fleuris qui dissimulent leur lit. Le responsable de ces aménagements surdimensionnés a donné son nom à la rue qui longe la Joao Gomez,  la rua Brigadeiro Oudinot. Aussitôt, je me suis demandé qui pouvait bien être cet ingénieur militaire dont le patronyme, bien connu chez nous, semblait si peu portugais… Il s’agissait évidemment d’un Meusien !

Pourtant, on ne trouve aucun document sur cet homme sur les sites français. Je me suis donc penchée sur la traduction des articles portugais qui tracent de lui un portrait flatteur, mais pas toujours exact. Ainsi, contrairement à ce que prétend sa biographie, il ne peut pas être le frère aîné du maréchal Oudinot, même si son père s’appelait également Jean. Le père de notre inconnu, marié à une demoiselle Husson, était originaire de Sampigny et avocat à la Cour, alors que celui de Nicolas, époux d’une demoiselle Adam était négociant et originaire de Bar-le-Duc. De plus, les dates de naissance ne laissent pas planer de doute puisque, à la naissance de Reinaldo, qui à cette époque s’appelle Renault, le père de notre maréchal d’Empire n’a encore que 14 ans.

Renault Oudinot nait donc à Sampigny en 1744. Il fait ses études à Verdun, obtient son diplôme d’ingénieur et épouse une jeune portugaise, Maria Vicencia de Mengui. Il part vivre au Portugal et, à 22 ans, il s’engage dans l’armée portugaise et devient officier du génie où il se spécialise dans les travaux hydrauliques. Il travaille à Leira pour régulariser le cours de la rivière Lis et éviter les inondations récurrentes dans cette vallée. Il  est ensuite affecté à Porto pour réaménager le port et sécuriser les rives du Douro, puis il est chargé d’y construire deux casernes. Il présente pour Porto un plan d’urbanisme ambitieux qui ne sera hélas pas mis en chantier faute de crédits, mais ses idées seront réutilisées lors de la restructuration du centre-ville de Lisbonne. Il part ensuite pour Aveiro afin d’en améliorer le port et de construire une digue, mais il doit brusquement quitter la ville en 1803 en laissant son gendre terminer les travaux, car on a besoin de lui à Madère où de catastrophiques inondations ont détruit la capitale, Funchal. Il est alors nommé brigadier des ingénieurs royaux (équivalent de colonel, le plus haut grade dans l’armée portugaise). Très vite, il comprend que la ville est une sorte d’entonnoir dans lequel, après un gros orage, l’eau de pluie dévale des montagnes environnantes vers le centre-ville, transformant parfois les paisibles ruisselets en formidables torrents dévastateurs noyant tout sur leur passage. Dans un premier temps, il préconise la reconstruction de la ville un peu plus à l’ouest, avec un plan d’urbanisme novateur qui aurait sans doute pu influencer le développement de la ville et de l’île tout entière, mais son projet est refusé. Il propose alors un plan anti-inondation plus modeste en construisant des canaux assez vastes pour amener l’eau jusqu’à la mer sans envahir les rues de la ville. Ce projet est réalisé et est encore en fonction de nos jours. Lorsque Reinaldo décède en 1807 à Madère, il a pratiquement mené à bien la reconstruction de la ville en à peine trois ans. Dans le même temps, son gendre termine les travaux entrepris à Aveiro à la satisfaction générale.

C’est pour cette raison que le nom de Reinaldo Oudinot est honoré dans plusieurs villes du Portugal par des places, des rues et même un centre commercial. Il a encore des descendants dans la région d’Aveiro et de Leira, mais ces derniers ont sans doute oublié depuis longtemps qu’ils avaient des racines dans un petit coin de France appelé la Meuse. 

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