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L'inclassable de
Monique VILLAUME

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Pour la Saint-Valentin, voici...
La carte postale amoureuse

-  Si je n’ai pas de réponse, c’est fini !

Un de mes livres traitant de la séduction chez les Meusiens, est illustré de cartes anciennes qui, parfois, parlent. Celle-ci m’avait tout de suite brûlé les yeux.
En façade, j’avais repéré la fine écriture livrant son message sibyllin.
Sans doute un amoureux qui craignait d’être éconduit !
Ā douze ans, comme mes copines, je collectionnais beaucoup de choses, en particulier les timbres, c’était la grande mode. Un oncle, ancien militaire en Afrique et en Asie, m’en avait donné beaucoup et je continuais la collection  en découpant la correspondance familiale. Les enfants de cette époque ont traversé les océans et débarqué sur tous les continents grâce à ces minuscules images.
C’était leur façon de voyager et de rêver.

Depuis l’avènement des congés payés, ceux qui avaient la chance de pouvoir partir envoyaient des cartes postales à la famille et aux amis, c’était l’occasion de renouer des liens et de rompre le long silence de l’hiver ! Nous en recevions beaucoup. Ma mère les punaisait un temps sur un panneau dans la cuisine, puis me les donnait pour que j’en découpe le timbre.
Mes amies aussi m’envoyaient des cartes, ce fut le début de mes conflits intérieurs, car collection devient vite addiction !
Je commençais à être partagée. Que garder ? La carte de ma copine ou le timbre ?
La plupart du temps, je sacrifiai la copine pour le timbre.
Il m’en fallait toujours de nouveaux, j’étais insatiable. Il me revint que ma grand-mère tenait un « album amoureux ». Je l’avais baptisé ainsi après l’avoir feuilleté une fois avec elle, il contenait de merveilleuses cartes avec des cœurs, des angelots et des messages d’amour imprimés dans de minuscules enveloppes. J’avais été fascinée.
L’album était hors de ma vue, mais il occupait tout mon cerveau, il y avait là une mine de timbres !
Je profitai d’une rare absence de mes parents pour ouvrir le secrétaire Louis Philippe, un meuble sévère et mystérieux qui, comme son nom l’indique, cache des secrets, des choses exclusivement consultables par la famille, documents confidentiels, actes notariés, lettres, photos de mariage. Il était équipé d’un  tiroir bloquant à système que j’avais réussi à déjouer à force d’application. 
Je sortis l’album amoureux d’Alice et sans plus attendre, je découpai les plus beaux timbres sur les cartes postales. Combien ? Beaucoup !
Ma mémoire effaça le forfait. Je l’oubliai jusqu’au jour où… j’héritai de l’album.
Je retrouvai ma culpabilité en même temps que le souvenir et ne l’ouvris pas pendant des années. Puis, lorsque j’écrivis le livre sur la séduction, je me décidai.
Il me fallait des cartes amoureuses et je savais où les chercher.
J’hésitais, certaine de ne trouver que des cartes saccagées !
Il en manquait et certaines présentaient de graves blessures !
Mais le péché n’était pas si grand, il en restait beaucoup d’autres en bon état !

-  Et la collection de timbres, me direz-vous ?
-  Je m’en souviens comme si c’était hier, dans l’instant où je vis les cartes mutilées, je perdis tout intérêt pour les timbres et abandonnai définitivement cette collection !
-  Tout ça pour ça ?
-  Eh oui, c’est incroyable, non ? Le jeu de la mémoire et de la culpabilité !

Mais je ne vous ai pas tout dit, j’avais découvert un secret, encore moins avouable que le découpage ! Alice, si austère avec son chignon tiré et sa grande robe noire, savait faire tourner les cœurs ! Elle avait eu un amoureux, et s’était jouée de lui ! Regardez, c’est écrit en toutes lettres dans le coin gauche, en haut de la carte postale ! 

Carte amoureuse

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