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Par Dominique LACORDE

Lacorde dominique

 

La leçon de morale à l'école autrefois
(Partie I)

(Les photographies peuvent être agrandies d'un clic)

Lecon de morale 3

L’esprit et la cohésion du village se perpétuaient autrefois sur les bancs de l’école et de l’église. Après la Grande Guerre et à fortiori après la Seconde Guerre mondiale, les choses avaient bien évolué pour l’école par rapport au siècle précédent et encore davantage par rapport à l’école d’avant la Révolution où le maître d’école était l’auxiliaire du curé, révocable à souhait, si ses leçons ne faisaient pas passer l’éducation religieuse avant l’enseignement. Le maître d’école avait son banc dans le chœur de l’église, faisait le chantre et surveillait les enfants du catéchisme. L’enseignement y était bien sûr « religieux et chrétien ». Les filles se préparaient à devenir de « bonnes mères ». Devant le développement et l’ampleur de cette présence, les Républicains arrivés au pouvoir réduisirent l’implantation des congrégations par les Lois de Séparation de l’Église et de l’État en 1905.

En 1881, le ministre Jules Ferry, anticlérical, fit voter une Loi qui stipulait que l’école serait désormais gratuite. Puis en 1882, il la rendit obligatoire de 6 ans jusqu’à 12 ans. L’instituteur fut alors recruté et formé par l’État laïque. L’école de la République déjà avec Jules Ferry puis après 1905, prit le relais de l’école privée jugée trop religieuse. Au-delà de l’enseignement des fondamentaux des matières scolaires traditionnelles mises au programme, l’Etat se fit un devoir d’enseigner également les comportements et les principes qui feraient de l’enfant un honorable citoyen.

L’ambiance était studieuse et la discipline était alors rigoureuse. L’instituteur, le maire et le curé représentaient les valeurs de la vie citoyenne et religieuse. « Famille et Patrie » constituaient les fondements idéologiques de l’enseignement par lequel on inculquait aux élèves les préceptes de la bonne conduite devant aller de pair avec les connaissances basiques indispensables pour devenir un homme ou une femme à la fois libre, honnête et considéré. Le maître préparait les enfants au Certificat d’Études qu’on passait à douze ans. C’était alors un diplôme reconnu et solide que tous ne passaient pas forcément. Seuls les meilleurs élèves étaient autorisés à poursuivre leurs études vers le Cours complémentaire, le Brevet. Dans la campagne meusienne, il était exceptionnel que des élèves aillent jusqu‘au Baccalauréat. Les familles de cultivateurs n’encourageaient pas du tout leurs garçons à poursuivre des études, préférant les voir travailler aux champs et aider à la ferme. Les traditions se perpétuaient. La vie était rythmée par les fêtes religieuses.

Le maître avait tous les pouvoirs. Il contrôlait la bonne tenue des élèves, la propreté en inspectant à l’entrée de la classe les ongles, les mains, les oreilles, les cheveux et l’habillement. Il fallait se mettre en rang, faire silence, s’asseoir au commandement, se lever dès qu’un adulte entrait dans la classe. La politesse faisait partie de l’éducation : dire merci, au revoir, bonjour, pardon.

Les enfants tenaient leur cahier avec soin, trempant le porte-plume dans un encrier que le maître remplissait tous les soirs. L’aspect formel de l’enseignement tenait une place aussi importante que l’acquisition des savoirs et les résultats des exercices et devoirs. La grande blouse grise que portaient l’enseignant et les élèves donnait une uniformité à tous, de même que toutes les classes de France se ressemblaient avec leur estrade, leurs cartes pendues au mur et leurs bureaux à deux places. Le maître déambulait posément entre les bureaux énonçant de sa voix docte la dictée du jour en appuyant sur les mots difficiles et les accents. L’école avait quelque chose d’immuable, de figé dans le temps et l’espace. La classe d’autrefois se déroulait suivant un emploi du temps fixé dès le début de l’année scolaire et qui était affiché en bonne place. L’écolier qui changeait d’école n’était guère dépaysé, car le décor des salles de classe et l’emploi du temps variaient peu d’une région à l’autre.

Pour les enfants que nous étions, c’était un espace craint, sacré. On y structurait les consciences et le savoir. Tout y était gris sauf ces cartes de France, administrative, économique, géographique qui pendaient au mur et qui nous faisaient rêver. Au printemps, fenêtres grandes ouvertes, le soleil et les cris des oiseaux nous sortaient de notre douce léthargie. Mais ce tableau idyllique était cependant assombri avec le cortège des punitions qui, pour la moindre broutille, pouvaient pleuvoir sur les malheureux élèves : aller au coin, rester à genoux, tendre les doigts pour y recevoir un coup de règle, copier cent fois... La sévérité était de mise.  

Au 19e siècle, les enfants n’allaient pas régulièrement à l’école, car la classe n’avait lieu que pendant quelques mois d’hiver. Les familles ne s’intéressaient pas à l’instruction de leurs enfants ; il en résultait un laisser-aller qui était loin de favoriser le progrès des élèves. Les parents privilégiaient toujours les travaux des champs à l’instruction pour leurs enfants. 

Gesnes ecole 1913

LA LEÇON DE MORALE

Devant le désarroi de notre jeunesse, qui n’a pas, un jour, regretté nos vieilles leçons de morale ? « Ah ! De mon temps tous les matins il y avait la fameuse leçon de morale ». Beaucoup en parlent, mais qui se souvient véritablement de ces petites phrases inscrites tous les matins sur le tableau noir avec la date du jour ? On va voir en examinant de près combien certaines de ces leçons ne passeraient plus maintenant. Ces leçons, obligatoires à l’école primaire, révèlent la mentalité de l’époque. Dans les écoles publiques, ces leçons de morale remplaçaient la prière du matin dite dans les écoles religieuses. L’enseignement de la morale était aussi présent à tout moment de la journée lorsque l’occasion se présentait.

Pour la leçon de morale, je me suis appuyé sur le « Livre de Morale » de Madeleine Vassart à l’école de Gesnes-en-Argonne en 1929 et sur des notes de Guy Pierre qui, à l’école de Romagne-sous-Montfaucon, avait noté toutes les leçons de morale de l’année scolaire 1951–1952. La liste des matières inscrites au programme de 1929 est très éloquent : instruction morale, instruction civique, antialcoolisme et sciences. Bien sûr il fallait compter également à cette époque avec la géographie, l’histoire, le français et le calcul. Madeleine Vassart a quitté l’école à 11 ans et demi. Elle savait lire, écrire sans aucune faute et compter.

Gesnes ecole

L’INSTRUCTION MORALE 

« La morale a pour but de nous faire connaître plus exactement nos devoirs afin que nous puissions mieux les remplir. Nous devons nous appliquer à son étude, car elle nous rendra meilleurs pour nous-mêmes et pour les autres ».

De petits manuels se publiaient destinés aux enfants de la communale. Avant les années 1920, les ouvrages édités comportaient un conte, une poésie ou une histoire vraie illustrant une maxime. L’enseignant pouvait s’appuyer sur ces exemples. Des gravures illustraient l’ouvrage. Le maître racontait d’abord une histoire tirée d’un recueil de contes moraux. Les fables de La Fontaine étaient largement mises à contribution. Ensuite, il posait des questions pour s’assurer que les enfants avaient bien compris le sens de l’histoire et l’entretien se poursuivait pour obtenir des enfants la leçon de morale dont la trace écrite était inscrite au tableau noir. 10 à 15 minutes commençaient ainsi la journée d’étude.

Un thème était proposé par mois :

1/ la conscience, le devoir : le corps et l’âme, l’instinct et l’intelligence, liberté et responsabilité, la vertu, le bonheur, la dignité humaine.

2 et 3/ devoirs envers nous-mêmes : l’hygiène, la propreté, l’air et la lumière, la tempérance, la sensibilité, l’intelligence, l’instruction, le courage, la persévérance, le sang-froid, devoirs envers les animaux, connaissance de soi-même.

4/ le travail et ses bienfaits : le travail est une dette, avantages du travail, la propriété, l’économie et l’ordre, la Caisse d’Épargne, la prodigalité, l’avarice, le jeu et les dettes.

5/ la famille et l’école : le respect des parents, frères et sœurs, grands-parents, les domestiques, l’école, l’instituteur, les camarades.

6/ la patrie : bienfaits de la patrie, le drapeau, l’obéissance aux lois, les contributions, le vote, le patriotisme.  

7/ la société. Devoirs de justice : la justice et la charité, la tolérance, la réputation, le vol, le braconnage.

8/ la solidarité. La politesse dans la rue, à table. Les vieillards, les autorités, la discrétion, la correspondance.

9/ devoirs de charité : l’aumône, l’amitié, la générosité, la fraternité, les inégalités sociales, la guerre.

10/ révision générale

(Suite et fin avec la partie II dans le Porte-Plume du mois de mars)

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