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Et c'est celle de...
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Alain BANNIER

Le défi

Romy, jeune secrétaire dans un cabinet médical depuis cinq ans, attendait avec impatience la venue du nouveau généraliste. Célibataire de vingt-six ans, brune aux cheveux courts, elle espérait que le remplaçant du docteur Kadan, parti en retraite la semaine passée, soit un jeune homme avec qui elle aurait plaisir à travailler.
Arrivée de bonne heure pour préparer la liste des consultations pour la matinée, elle scrutait sa montre sans arrêt quand tout à coup, elle le vit franchir le seuil de la porte. Elle qui ne croyait pas au coup de foudre tomba littéralement sous le charme de ce médecin de vingt-huit ans. Elle resta bouche bée en l’apercevant et ne lui rendit son bonjour que quelques secondes plus tard.
Après plusieurs semaines, le tutoiement était de rigueur. Chaque fois que Florian entrait dans son bureau pour y déposer un dossier ou pour venir chercher un résultat d’analyses, elle sentait des palpitations dans tout son corps.
Elle se demandait « Osera-t-il un jour m’inviter à boire un coup après le boulot ? »
Certes, ses journées se terminaient bien au-delà de celles d’une secrétaire. À part le vendredi où sa dernière consultation était programmée à 17h30. Elle sentait que l’attirance était réciproque. Depuis qu’il était en poste, il avait déjà passé autant de temps dans son bureau que le docteur Kadan en une année.

Ce mercredi 6 février, c’était le calme plat au cabinet. La période des vacances scolaires était commencée. Deux rendez-vous avaient été annulés. Le docteur Debog en profita pour discuter avec Romy. La conversation portait sur tous les sujets. Il voulait soi-disant mieux connaître la personne avec qui il travaillait. Elle n’était pas dupe, il la draguait tout simplement. Il fut surpris d’apprendre qu’elle était numismate et collectionnait plus particulièrement les monnaies du 20e siècle.

– Et toi, à part la médecine, as-tu une passion ?
– Oui, je suis fan de BD, principalement les mangas.
– Tiens, si tu veux, samedi il y a une foire aux collections, tu trouveras peut-être ton bonheur.
– Je n’aime pas aller dans ces endroits, il y a trop de monde, je suis un peu agoraphobe. Je préfère la solitude et les grandes balades en forêt.
– Comme tu veux ! J’irai toute seule, tant pis !

Elle lui en voulait, elle lui tendait la perche pour qu’ils passent un moment ensemble en dehors du cabinet et il ne saisissait pas sa chance. La conversation dut s’interrompre, car un patient venait d’arriver.
La fin de la semaine se déroula sans qu’ils reparlent de la foire aux collections.
Samedi 9 février, Romy se rendit à la salle des fêtes. Ce n’était pas les stands de monnaies qui manquaient. Elle disposait d’un budget limité qu’elle essayait de tenir. Sa collection devenait assez importante et elle devait débourser au minimum 50 euros pour toute nouvelle acquisition. Il lui arrivait souvent de revenir bredouille, les vendeurs professionnels ne faisaient pas beaucoup de ristourne malgré ses tentatives d’attendrissement.
Lundi matin, dès son arrivée, la première chose que Florian demanda à Romy fut de savoir si elle avait fait de belles acquisitions durant le week-end. Malgré sa réponse négative, elle était heureuse de savoir qu’il avait pensé à elle.
Prenant son courage à deux mains, il lui demanda sans y mettre les formes

– Romy, veux-tu sortir avec moi ?

Bien qu’elle attendît ce moment depuis longtemps, elle fut surprise et donna une réponse tout aussi inattendue

– J’accepte, à une condition !
– Ce n’est déjà pas un non, ça me rassure. Et que dois-je faire pour te conquérir ?
– Rien de bien compliqué. Je te laisse jusque fin juillet pour m’offrir la 1 franc Roty de 1963 qui manque à ma collection.
– C’est tout ? Si par malheur je ne mettais pas la main dessus, qu’adviendrait-il de nous deux ?
– J’aviserai en temps voulu.
– C’est comme si tu l’avais en ta possession !
– Encore un petit détail qui a son importance. Interdiction de chercher la monnaie sur internet ou chez un professionnel, uniquement dans des brocantes ! Cela te permettra de vaincre ta phobie.
– Tu ne pourras pas le savoir.
– Dans le milieu des collectionneurs, tout se sait aussitôt. Si tu trahis ma confiance, tu connais la sentence.
– Je n’ai qu’une parole. Je prendrai sur moi et j’irai chiner.

Romy téléphona à son amie Annie.

– Comment vas-tu ma chérie ?
– C’est à toi qu’il faut demander cela. Alors, ton médecin, toujours aussi timide ?
– Tu ne devineras jamais quel défi je lui ai lancé pour pouvoir sortir avec moi.
– Pourquoi compliques-tu tout ? Tu meurs d’envie de te retrouver dans son lit et tu le fais languir. Il va t’échapper si tu continues. Vas-y, je t’écoute.
– Pas de danger, il est fou amoureux de moi. Je lui ai demandé de me récupérer la semeuse de 1 franc de 1963.
– Non, sans rire ! Tu n’as pas fait ça quand même ?
– Et si ! Je verrai jusqu’où il est prêt à aller pour moi. Je lui ai interdit les sites professionnels, uniquement les brocantes. C’est un peu pour le punir de ne pas aimer chiner.
– Je comprends mieux. Tu lui as laissé un délai ?
– J’ai été très gentille, il a jusqu’à fin juillet.
– À tes risques et périls ma belle !
– J’accepte ! Je suis sûre de moi et de lui.

Les semaines défilaient, la fête nationale battait son plein. Florian à sa triste honte n’avait toujours pas déniché la fameuse monnaie. Il s’invita un soir chez Romy pour regarder sa collection. Elle fut surprise et heureuse en même temps de le voir s’intéresser à autre chose qu’aux BD.

– Les « Semeuses » en argent sont de toute beauté. Ta série est complète ?
– Hélas, non ! Il me manque la 1914-C, c’est-à-dire celle frappée à Castelsarrasin. Mes petits revenus ne me permettent pas de faire des folies pour le moment.
– C’est pour cela que tu me demandes de chercher celles qui te manquent, plus particulièrement la 1 franc 1963 ?
– Bien sûr que non ! C’est juste un défi, une preuve d’amour si tu arrives à me la dénicher. Je t’ai fait une promesse, si elle vient compléter ma collection, c’est avec grand plaisir que je sortirai avec toi. Il te reste encore 15 jours, la date fatidique étant le 31 juillet, tu t’en souviens ?
– Oh, oui, cette date butoir est gravée dans ma mémoire. Ne t’inquiète pas, je pense pouvoir te l’offrir d’ici là. À force de parler de mes recherches à mes potes, j’en ai trouvé un qui en possède deux exemplaires. Il est d’accord pour m’en céder une à un prix raisonnable.
– Ce n’est pas dans une brocante, mais ce n’est pas un professionnel, alors je suis OK. J’ai hâte de la voir, de la toucher. Tu ne peux pas imaginer l’immense joie que tu me procureras. En plus de posséder cette pièce, tu te seras démené pour moi. Cela prouve que tu es vraiment amoureux de moi.
– En doutais-tu un seul instant ?
– Pour être tout à fait franche avec toi, non, pas une seconde ! Tiens je vais te donner une avance.
– Il n’en est pas question. Je te l’offre, cela me fait plaisir.
– Je ne parlais pas d’argent.

Elle lui sauta au cou et colla ses lèvres sur les siennes en un long baiser langoureux.
Remis de ses émotions, Florian lui demanda de voir des monnaies au millésime 1963.

– Il n’y en a pas tellement. J’ai la 5 francs et la 50 centimes.
– Elles sont belles. Puis-je les photographier ?

Un peu intriguée, Romy accepta. Pourquoi un attrait si soudain pour la numismatique ? Avait-elle réussi à lui donner le virus ?
En rentrant à la maison, Florian s’empara de son ordinateur et consulta la rubrique bricolage. Dans deux jours, la petite meuleuse de précision serait livrée et il pourrait commencer son travail. Il ne lui restait plus que 15 jours avant la date d’échéance. En s’appliquant et en prenant son temps, il espérait qu’elle ne verrait rien. Elle serait tellement heureuse qu’elle lui sauterait au cou et leur amour ne serait plus virtuel. En attendant, il fallait qu’il trouve une 1 franc 1968. Il irait voir son pote et complice de la supercherie.
Florian choisit le vendredi 27 juillet, dernier jour de travail avant une semaine de fermeture du cabinet, pour annoncer la bonne nouvelle à Romy.

– Ma jolie petite brunette, si tu me permets de te nommer ainsi, j’ai un cadeau à te faire. J’ai enfin mis la main sur ta fameuse monnaie. Je t’avoue que j’ai eu du mal, il ne doit pas y en avoir beaucoup sur le marché.

Romy feignit d’être surprise.

– C’est un fait, elles sont introuvables. Je savais que tu y arriverais. Montre-la-moi, je suis folle d’impatience !

Elle déchira le paquet et saisit la monnaie, qu’elle contempla de longues minutes. Florian ne disait plus rien, il attendait le verdict. Après avoir retourné la pièce plusieurs fois, elle poussa un cri de joie et s’empressa de lui sauter au cou et de l’enlacer tendrement.
Bien évidemment, elle savait que la monnaie avait été trafiquée. Reconnaissant tout le mal qu’il s’était donné pour la rendre heureuse, elle ne se sentait pas le cœur à lui avouer la vérité. Chacun garderait son secret.

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