Ecrits d hiver07 08 juillet aout2019 1

L'inclassable de

Beyer serge 2

Serge BEYER


Lors de mes lectures diverses, j’ai constaté qu’au cours de leurs œuvres, certains GRANDS auteurs avaient évoqué la Meuse, celle du M (ou comme aime ?) de PLUME, le fleuve, ses villes, ses coutumes, et de manière souvent inattendue. J'ai recensé plusieurs textes, entre Hugo, Pennac, Péguy  évidemment,  mais aussi Verlaine, Courteline, Aragon,  Delerm, Proust, et même M.C. Solar…

Dans ces Écrits d’hiver, rubrique apte, de par son nom, à accueillir divers écrivains, je me propose de vous faire découvrir ponctuellement certains de ces ouvrages,  en entier ou par bribes pour vous inciter à en savoir plus.
Si Verdun est le thème principal de cette première balade littéraire, je vous promets d’aller flâner ailleurs une fois prochaine !

Tout d’abord, c’est Prévert qui nous guide près de La fontaine des innocents, au long d’un poème publié dans La pluie et le beau temps et dont je vous présente la fin qui nous concerne.

Et je prends le train à la gare de l’Est
Oh vous ne savez pas que c’est à Paris que la gare de l’Est
Ou vous ne devez plus le savoir
Et mes quinze femmes m’accompagnent à la gare
et les larmes aux yeux font trembler le mouchoir
et le train démarre et m'emporte avec les autres voyageurs
oui le train démarre et m'emporte avec les fleurs
et ces fleurs moi je les apporte
à cette crispante harpie
qui crie sur le quai d'une gare
son affreux cri

Dragées de Verdun
Madeleines
Madeleines de Commercy

Oui je lui apporte ces fleurs-là en plein air

comme à une morte sous terre
pour qu'elle se taise
oui
qu'elle cesse un instant son cri 
Marie-Madeleine de Commercy

son affreux cri de guerre
qui porte la poisse au permissionnaire qui s'en retourne à la tuerie.

*

Vous avez dit dragées ?
Qui pourrait vous en parler mieux que Philippe Delerm dans son remarquable livre Les mots que j’aime, mots avec lesquels il raconte des instants de vie.

Dragée

Comme il fond dans la bouche ! Nuée, nuage, délicatesse infinie. Aucune aspérité. Un mot parfait pour désigner l’apparence de la chose. Les couleurs si nuageuses elles aussi, le blanc, le rose et le bleu pâles. Le toucher, si lisse, la forme oblongue, prête à se couler. Et puis cette bénignité de baptême ou de communion, sertie dans une boite souvent tapissée de carton plissé, sophistiqué, arrondi sur les bords.
Beaucoup trop de douceur. Le mot est seul à fondre en bouche, avec le souvenir des apparences. Juste pour la langue, le temps de rencontrer les dents, et le subterfuge est démasqué. Ce n’est que dureté, bien fou qui voudrait croquer la dragée ! Pour l’amadouer, atteindre enfin l’amande, le chocolat, la nougatine, il faut une patience d’ange et suçoter à l’infini. Alors le caillou rebutant voudra bien se dissoudre. Vous prendrez bien une dragée ? Mais pour la vraie douceur, à vous de jouer !

*

Les dragées restent également associées à un tragique épisode de l'histoire meusienne, celui des Vierges de Verdun. Le 2 septembre 1792, la ville capitule face aux Prussiens. Le roi de Prusse vient de s'installer non loin de la ville, dans un petit hameau. Il faut lui porter la reddition de la ville sans attendre. On décide d'envoyer une petite troupe de femmes pour lui offrir fleurs et dragées. Toutes portent des robes blanches, d'où le surnom de vierges.
Mais le roi prussien dédaigne les dragées et son armée galope vers Paris. Elle sera arrêtée nette à Valmy, en septembre 1792, et Verdun sera libérée par Kellermann. Cependant, pour les Verdunois, il y a eu trahison ! En pleine Terreur, les têtes vont tomber, dont celles des Vierges pour avoir accueilli les Prussiens ! Victor Hugo en a fait un poème, paru dans Odes et Ballades (1826).

Je vous en livre deux strophes sur les treize qui composent cette ode (Ah c’est sûr, c’est du Victor Hugo !). Osez le lire en totalité !

Quand nos chefs, entourés des armes étrangères,
Couvrant nos cyprès de lauriers,
Vers Paris lentement reportaient leurs bannières,
Frédéric sur Verdun dirigeait ses guerriers.
Verdun, premier rempart de la France opprimée,
D'un roi libérateur crut saluer l'armée.
En vain tonnaient d'horribles lois ;
Verdun se revêtit de sa robe de fête,
Et, libre de ses fers, vint offrir sa conquête
Au monarque vengeur des rois.

Alors, vierges, vos mains (ce fut là votre crime !)
Des festons de la joie ornèrent les vainqueurs.
Ah ! pareilles à la victime,
La hache à vos regards se cachait sous des fleurs.
Ce n'est pas tout ; hélas ! sans chercher la vengeance,
Quand nos bannis, bravant la mort et l'indigence,
Combattaient nos tyrans encor mal affermis,
Vos nobles cœurs ont plaint de si nobles misères ;
Votre or a secouru ceux qui furent nos frères
Et n'étaient pas nos ennemis.
...

*

Pour terminer sur une note plus gaie, voire un peu déjantée, je vous présente Verdun, née entre les pages du tome 2 de la saga Malaussène La Fée Carabine. C’est la p’tite nouvelle de la tribu de Benjamin, le plus célèbre bouc émissaire de la littérature que Daniel Pennac a fait découvrir à des millions de lecteurs.

Mlle Verdun Malaussène : portrait d'un nourrisson. 3 jours déjà !
C'est gros comme un rôti de famille nombreuse, rouge viande tout comme, soigneusement saucissonné dans l'épaisse couenne de ses langes, c'est luisant, c'est replet de partout, c'est un bébé, c'est l'innocence. Mais gaffe : quand ça roupille, paupières et poings serrés, on sent que c'est dans le seul but de se réveiller, et de le faire savoir. Et, quand ça se réveille : c'est Verdun ! Toutes les batteries soudain en action, le hurlement des shrapnels, l'air n'est plus qu'un son, le monde tremble sur ses fondations, l'homme vacille dans l'homme, prêt à tous les héroïsmes comme à toutes les lâchetés pour ça cesse, pour que ça retrouve le sommeil, même un quart d'heure, pour que ça redevienne cette énorme paupiette, menaçante comme une grenade, certes, mais silencieuse au moins.

[...]

Et ça dure...
Verdun n'en finit pas.
Trois jours déjà.
Ce que Jérémy, les yeux au milieu de la figure, résume par cette question exténuée en se penchant sur le berceau de Verdun :
- Mais ça ne grandit donc jamais ?

*

Rendez-vous pris, si vous le souhaitez, pour de prochaines évocations meusiennes à travers d’autres divers écrits, bien différents.

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