Coinphilosophe207 08 juillet aout2019 1

Par Daniel DUBOURG
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Se forger une opinion

« C’est en forgeant qu’on devient forgeron ». L’adage ne sera sans doute pas démenti, s’agissant de toutes les opinions que nous faisons nôtres. Et force est de reconnaître que nous en avons beaucoup sur les sujets les plus divers, car lorsque nous les émettons, nous tentons de nous définir, non seulement par souci de clarté et de cohérence envers nous-mêmes, mais encore face à de nombreuses personnes avec lesquelles nous entrons en relation plus ou moins étroite. Pour autant, ces dernières ne sont pas forcément les seuls moyens de reconnaissance.

Le forgeron travaille un métal brut qu’il transforme et amadoue en le rendant ductile grâce à l’action conjuguée du feu, de l’eau et des coups qu’il porte au métal sur l’enclume. Finalement, la pièce a perdu ses traits d’origine. Et pour cela, un travail important a été nécessaire.

N’en est-il pas de même lorsque nous devons prendre position, émettre une opinion, un avis ? Nous nous approprions les pensées que nous élaborons, au point de nous en estimer propriétaires et non dépositaires. Ce désir de propriété fait que nous y tenons, que souvent, nous ne voulons pas nous en départir et encore moins la remettre en question, ce qui apparaîtrait comme une remise en cause de nous-mêmes et non la construction progressive et patiente d’une idée élaborée, d’où confusion.

Ce n’est plus un secret maintenant d’affirmer que l’être humain est doté d’une importante porosité à tous les niveaux. Nous sommes traversés sans cesse et depuis longtemps sans doute par des éléments, des corps plus ou moins fins et subtils qui déposent au passage certains de leurs principes actifs.

C’est aussi une évidence de dire que ce qui constitue notre être pensant est peu à peu la résultante d’une foule de ces éléments que nous nous sommes progressivement appropriés et qui définissent nos comportements. Et cet incessant échange entre l’extérieur et nous-mêmes constitue une sorte de moteur, tout comme ce qui touche à notre vie intellectuelle et affective.   

Donc, une importante quantité d’opinions nous traversent. Nous y sommes confrontés ; nous les prenons en compte ou non, totalement ou partiellement ; nous les adoptons ou les rejetons. Nous les passons dans un crible, un tamis, une grille de lecture. Et ce que nous en faisons devient notre opinion, car nous avons accompli le travail du forgeron.

Toutes les opinions, les conceptions et les idées se transmettent, y compris les nôtres. Nous allons les communiquer à d’autres et, ainsi reçues, elles essaimeront. Migrantes, elles pourront se modifier, se transformer selon la nature du terreau dans lequel elles s’implanteront ou se sèmeront.

Si l’on ajoute à cette ductilité, cette mobilité, le fait que nous ne sommes pas des esprits figés, on peut comprendre que s’accrocher à une opinion n’est pas forcément la meilleure façon de progresser, que confronter la sienne à d’autres est sans doute plus bénéfique et source de progrès.

Les opinions que nous avons nous définissent pour une bonne part. Mais la culture, l’ouverture au monde et la relation aux autres sont des moteurs puissants de l’évolution des conceptions.

Aussi pouvons-nous nous étonner d’entendre que certains ont des certitudes (ce qui est sans doute rassurant) et d’autres, des convictions. Il revient à chacun de nous de savoir ce qu’il fait du doute, du questionnement et de la curiosité.

Se forger une opinion, c’est peut-être vouloir se situer dans la complexité de la connaissance. Et une telle réflexion intérieure n’est autre qu’un travail accompli sur l’objet et le sujet à la fois.
 

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