L'aire de Ceignes

Une aire d’autoroute, sur l’A40, quelque part dans l’Ain ; pause déjeuner sur le chemin des vacances. L’endroit est calme, reposant, on en oublierait presque le bruit incessant des moteurs pourtant si peu éloignés.
     Assis à une table de pique-nique, nous laissons errer notre regard vers le sous-bois tout proche, à quelques mètres. Il ne semble pas aménagé, et pourtant… en y regardant bien… Quelle est cette étrange statue, là-bas, à peine ébauchée ? Illusion d’optique ? Banal empilement pierreux auquel le hasard aurait donné une forme reconnaissable, au point que notre esprit ne puisse s’empêcher de l’interpréter ? Jolie paréidolie ?
      Il faut se lever, aller voir. Constater finalement que la main de l’homme y est pour quelque chose.
      Les yeux s’habituent à la lumière moindre, au fouillis de branches, de pierres, de monticules de terre, de feuilles entassées. Ce sous-bois n’est pas banal, en définitive. Il fourmille de détails qui se révèlent petit à petit à notre émerveillement progressif. Quelqu’un (mais qui ? Un artiste ? Un voyageur de passage ?) a créé ici tout un petit monde, à l’échelle d’un modèle réduit, à peine perceptible, soumis aux intempéries et aux caprices de la nature : étranges statuettes miniatures façon île de Pâques perdue, cailloux reconstituant des dolmens ou des menhirs, sentiers discrets, furtifs. Un peu plus loin, après une boucle d’asphalte sur la droite, c’est pareil. Nous ne pouvons mesurer l’étendue réelle de ce minuscule univers. On en finit par se demander ce qui est volontaire et ce qui ne l’est pas.
      Et notre imagination se met à galoper, dans un plaisir ludique, surcroît de joie en ce jour de congé qui sent déjà si bon le repos. Nous sommes sur une aire d’autoroute façon « petit peuple » ! Invités inattendus de ce monde imaginaire, nous n’en serons même pas chassés. Il prend soudain consistance réelle et sort du domaine du virtuel pour exister « en vrai ». C’est à un voyage dans le temps, et dans un espace fantasmagorique, auquel nous sommes conviés, pour notre plus grand plaisir. C’est frais, ludique, porte secrète qui s’ouvre soudain et nous fait respirer un air nouveau. Merci l’artiste !
      Le « petit peuple », ce sont les fées, les elfes, les lutins, les petites créatures des contes et des mythes, principalement celtiques et nordiques, qui connaissent un regain d’intérêt ces dernières années. Mais ils m’ont toujours plu, au point que, petite fille, je semais en forêt des cupules de glands afin de leur offrir des bols à leur taille, pour leurs repas… Ce que cet arrêt inattendu nous a offert, le temps d’une pause, c’est la possibilité de les considérer, par jeu, comme dignes d’une vie propre. Merveilleux retour en enfance, circularité du temps, sensation illusoire mais salutaire que, finalement, celui-ci n’a pas de prise sur nous. Échappée permise par la grâce de quelques pierres et branches…