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La Guyane... une expérience unique !
(Partie I)
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Ce n’était pas gagné. Je partais avec une valise entière de préjugés. La Guyane, ce n’était pas le Club Med ! Ce territoire bien trop vaste, hostile, allait forcément me dépasser, m’avaler. En débarquant à l’aéroport Félix Éboué de Cayenne, écrasée par une chaleur suffocante, j’étais certaine de ne pas tenir la distance. Nous y arrivions pour quelques mois. Au petit matin d’une première nuit compliquée, je n’en menais pas large. La saison des pluies était en avance, le fracas des averses diluviennes sur le toit et les appels d’un crapaud buffle sous nos fenêtres m’avaient tenue éveillée. Pourtant, en ouvrant les volets ce jour-là et contre toute attente renversée par la beauté de l’endroit, je suis tombée en amour absolu de celle qu’on a trop longtemps taxée : d’enfer vert. Au final, nous y avons vécu quatre ans. Quatre années intenses de splendeurs et de richesses à tout jamais tatouées.

La vue de notre maison en bordure de forêt /
Un nid de termites arboricoles
La Guyane, plus grand département français, se tient sur le rebord nord-est du continent Sud Américain, entre le Suriname et le Brésil. Un territoire immense, 83 846 kilomètres carrés, qui compte environ 300 000 habitants.
Une mosaïque foisonnante et très diversifiée, composée des communautés amérindiennes, bushinengués (descendants d’esclaves marrons), brésiliennes, ainsi que de populations créoles, asiatiques et européennes, formant un véritable carrefour d’influences culturelles. La majorité vit le long du littoral, notamment autour de Cayenne, la ville capitale (chef-lieu du département), ainsi que d’autres côtières, comme Kourou ou Saint-Laurent-du-Maroni. L’intérieur, couvert de forêt avec des conditions d’accès difficiles, n’est que très peu peuplé. Imaginez… huit millions d’hectares. Vue du ciel la Guyane est un océan de verdure, veine-porte d’une Amazonie impressionnante, dévorante, éblouissante. La forêt toujours à portée de main ou de pirogue, j’allais rapidement le constater.

Carte de la Guyane française Ville de Cayenne, vue du fort Cépérou
Le biotope en cet endroit du monde est absolument remarquable. Le ciel, rien d’autre qu’un paradis pour oiseaux, papillons et insectes. La forêt, les fleuves et les rivières grouillent d’une faune incroyable, que dans nos contrées on ne voit, hélas, qu’au zoo… jaguars, caïmans, paresseux, singes, aras, toucans, serpents… Rien que dans mon petit carré de jardin, j’ai fait des rencontres hallucinantes, terrifiantes, adorables, ensorcelantes. Je me rends compte à ce stade de mon récit qu’il me sera impossible de vous les décrire toutes, cette terre offre tant à voir qu’il me faudrait bien plus que cet espace pour vous le partager.

Visiteurs remarquables en notre jardin : Aras, matoutou, rainette boana, iguane

L’horrible Tityus obscurutus. Piqûre douloureuse et potentiellement mortelle.
J’ai eu de la chance, ce jour-là. Peur bleue !
J’ai pour toujours en mémoire le sifflement trisyllabique d’un petit oiseau : le Piauhau hurleur, appelé communément : Paypayo en créole. Ses vocalises, impossible à confondre avec d’autres, vous transportent immédiatement au cœur de la forêt amazonienne ; vous pouvez en écouter des enregistrements sur internet. En parlant de rencontres insolites, me vient celle d’un anaconda qui traversait la route en pleine agglomération, il était long d’un bord à l’autre, passait dans le coin, tranquillement. Phénoménal ! Et le souvenir d’un autre, venu mourir chez un voisin, d’une mort idiote, percé des aiguillons d’un porc épic qu’il avait eu la mauvaise idée d’avaler. Stupéfiant ! D’ailleurs, je ne me moque pas, j’ai vécu moi aussi, un face à face surprenant avec un porc épic arboricole, grimpé sur une étagère dans notre garage. Photo, ci-dessous :

Porc-épic arboricole, ou Coendou
Une truffe digne de figurer au hit parade de Disney, non ? Méfiance tout de même, des dents longues en forme de ciseaux à bois, et des piques qui font très mal, qu’il lance dès qu’apeuré. Faut bien se défendre. Mon mari en a fait les frais, doigt violet en deux secondes. Nous avons réussi à le faire entrer dans un grand seau et l’avons ramené en forêt où il a disparu rapidement de nos radars. Je me rappelle également ce paresseux trois doigts, Aï en créole, entré dans une voiture, il s’agrippait au siège comme au tronc d’un bois canon, son arbre favori. Avec patience et douceur nous l’avons sorti de ce mauvais pas et rendu à la forêt. Malgré sa lenteur légendaire, il a rejoint les branches hautes d’un bwa kanon (ou bois trompèt), en deux coups de cuillère à pot. La visite de ce serpent, un Grage grands carreaux, au venin nécrotique hémorragique. Venu dormir dans un tube métallique de notre jardin après avoir dégusté les petits oisillons du nid qu’abritait l’endroit. Là, ce sont les pompiers qui l’ont délogé et remis en liberté, à quelques pas, dans les herbes (sic !), ils savent comment les manipuler. De telles anecdotes, j’en ai une liste longue comme le bras…

Paresseux ou Aï, trois doigts, au sortir de la voiture…
Cet éden réserve aussi une multitude de rencontres éblouissantes, magiques. Des papillons aux couleurs folles, notamment le Morpho, d’un bleu à vous ouvrir le ciel. Des aras magnifiques, que nous avons vu se poser à deux pas de nous comme des pigeons au square. Les saïmiris, petits singes jaunes et taquins, qui s’amusaient à lancer des brindilles à notre Jack Russel qui, incrédule, ne comprenait rien à leurs messages.
L’Araçari grigri, de la famille des toucans, qui matin et soir au sommet des grands arbres nous sifflait son sublime « tilin tilin ». Les singes hurleurs dont les gueulements rauques m’effrayaient au tout début et que par la suite j’écoutais, fascinée. La spectaculaire Matoutou, une araignée arboricole que l’on différencie d’une mygale par l’extrémité orange de ses pattes et que j’ai fini par prendre dans la main. Bref, on pourrait y passer la nuit…

Coati roux, singe saïmiri, singe hurleur Papillon au jardin

Matoutou : Avicularia - Mygalomorphae
Cependant, arrêtons-nous pour admirer le seigneur de la forêt guyanaise : le jaguar ! Depuis octobre 2024, un suivi scientifique (le programme CAMTRAP), déploie 54 pièges photos sur 27 stations autour de Saül. En six mois, 21 jaguars ont été identifiés individuellement. Incroyable ! Densité estimée sur 100 km2 : 6,35 jaguars. Pourquoi, un tel résultat à Saül ? Les analyses mettent en avant le relief encaissé, qui canalise leurs déplacements et une forte abondance de proies (cochons-bois, agamis…). Ce résultat est une bonne nouvelle, lorsque ces populations se portent bien, c’est tout l’écosystème qui fonctionne.
Et, qu’il est beau à voir, ainsi, en liberté :

Jaguar : CAMTRAP, parc amazonien de Guyane
Mais la Guyane, c’est aussi et avant tout, une terre d’eau. Avec tout d’abord, la majesté incontestée du littoral : l’océan Atlantique. Il est bordé de longues plages de sable fin, jaune clair, ocre ou noir. Un océan souvent brouillé des sédiments et eaux de ruissellements des fleuves et des rivières et qui se teinte de brun ou d’émeraude en harmonie avec la luxuriance végétale qui le longe.

Littoral Atlantique Remire Montjoly

Plage dite, des brésiliens
Des plages où les tortues marines, luth ou verte, viennent pondre chaque année de mars à juillet. Elles creusent des trous à l’aide de leurs nageoires et y déposent leurs oeufs, une centaine, avant de les recouvrir. Après deux mois d’incubation les bébés sortent, en général de nuit, et rejoignent la mer. C’est magnifique à voir et si émouvant.
- La tortue Luth : en danger d’extinction. Impressionnante, qui peut atteindre deux mètres et 600 kg, une carapace comme recouverte de cuir.
- La tortue verte : est quant à elle plus petite, 110 à 180kg. Elle se nourrit d’algues et d’herbes marines, d’où son appellation.

Tortue Luth : ponte et retour à l’eau
Les fleuves, dont les noms suffisent à éveiller un imaginaire d’aventure, sont puissants et absolument enchanteurs :
- Le Maroni, le plus grand et voie incontournable de communication importante. Long de 520 km, il est la frontière naturelle avec le Suriname.
- L’Oyapock : 370 km, la frontière naturelle avec le Brésil.
- L’Approuague : 335 km, plateau des Guyanes, navigation pour l’orpaillage (légal ou illégal).
- Le Sinnamary : 260 km et qui abrite le barrage de Petit-Saut, qui forme un lac de retenue hydroélectrique.
Les rivières et affluents : La Mana, La Mahury, La Comté, L’Iracoubo, La Tonnegrande, La Montsinéry, la Tampok, La Camopi, L’Orapu.

Pirogues crique Gabriel / Roura

Pont du Larivot sur la rivière de Cayenne Rivière Mana
(long. 1,2km) En direction de Kourou,
St Laurent du Maroni (et couverture
de mon 3ème roman)
Ces fleuves et rivières portent en eux, rêves, promesses d’ailleurs, beautés à couper le souffle. Ils sont les voies de communications indispensables pour les autochtones. Bon nombre d’enfants ou de professeurs se rendent en classe en pirogue dans l’intérieur des terres. Ils facilitent également les visites des médecins et infirmiers, servent aux livraisons de marchandises et de courrier, etc. Mais véhiculent également des troubles terribles, des histoires d’or et brisent des vies. Oui, l’or, métal précieux dont la terre de Guyane est cousue, qui génère à lui seul tant de mal et de tort.
L’orpaillage. Il y a le légal, encadré. Je ne dis pas que c’est bien, mais il existe. Et puis, il y a l’illégal, un des fléaux de ce département, qui détruit la forêt, ravage la faune, empoisonne les cours d’eau avec le mercure qui sert à amalgamer l’or et décime à bas bruit les tribus amérindiennes. Les orpaillages illégaux : ce sont des villages entiers qui se font et se défont, au gré des sites, avec du matériel lourd convoyé par pirogues ou à dos d’hommes et bien sûr des armes. Des sites pourchassés, démantelés régulièrement, mais qui se reconstruisent indéfiniment. Et comment ne pas évoquer les situations humaines (inhumaines) violentes, vécues dans ces lieux, des situations que nos entendements d’européens ne peuvent concevoir. Nous avons fait la connaissance d’un orpailleur légal, Pépito, trente ans de vie en exploitation forestière guyanaise, retraité, devenu mi-ermite mi-artiste et qui nous contait des histoires à dresser les cheveux sur la tête. Je vous épargne…
Ce qu’il faut dire c’est que les sites illégaux sont de plus en plus nombreux, avec une hausse considérable cette année, atteignant un niveau inédit. Février 2025 : 120 sites illégaux. Juillet 2025 : 176 sites illégaux.
Une catastrophe humaine et écologique en cours ! Difficile d’affirmer que c’est lié à l’augmentation du prix de l’or, mais quand même… Que vont devenir les populations de l’intérieur si demain elles n’ont plus d’eau potable ?

Les désastres de l’orpaillage illégal : des impacts environnementaux irréversibles
À l’est de Cayenne, entre Roura et Régina s’étend un vaste paysage couvert d’eau à mi chemin entre lac et savane noyée, celui des marais de Kaw. L’un des principaux joyau naturel de la Guyane, classé : réserve naturelle côtière depuis 1998. Le site révèle une biodiversité unique et exceptionnelle, avec notamment le caïman noir emblématique et longtemps menacé. Au delà de son intérêt écologique, le marais est devenu un site majeur pour l’écotourisme. Dormir sur un carbet flottant dans les marais de Kaw, lové dans un hamac, entre contemplation et sérénité, est inoubliable… Rien de plus beau qu’un vol d’ibis rouges dans le couchant, à cette heure où les marais changent de voix, où les grenouilles entament leur symphonie. Et, au petit matin vous n’hésitez même plus, (si un peu) à vous jeter à l’eau, tant le lieu est le reflet du divin…

Les marais de Kaw Carbet flottant Village de Kaw
Un territoire unique de plaines inondées, d’oiseaux par centaines, de poissons (piranhas, notamment), d’amphibiens de toutes sortes, de merveilleux ibis rouges, d’aigrettes, de caïmans, de roseaux et de nénuphars… la liste est longue… mais qui reste néanmoins fragile, soumis lui aussi aux changements climatiques, à la pollution et, malheureusement, au braconnage.

Les pêcheurs de Kaw Caïman du marais
En réponse à ces enjeux essentiels, la Guyane a créé au sud du département en février 2007 : le Parc Amazonien de Guyane. Il couvre 33900 kilomètres carrés, abrite une faune et une flore parmi les plus riches au monde. Ce parc a pour objectif majeur la préservation de l’immense trésor écologique de la forêt guyanaise, la protection des habitats naturels uniques ou la mise en place de mesures contre la déforestation et bien sûr l’exploitation illégale. Il vise également à protéger les populations autochtones et locales. Un enjeu crucial. Un défi. Une lutte permanente.

L’océan de verdure du parc amazonien
Placée au nord de l’équateur, la Guyane bénéficie d’un climat équatorial. Il y fait chaud et humide toute l’année, avec peu de variations de température. En grande partie grâce à l’influence de la ZIC : zone intercontinentale de convergence. On distingue deux saisons : la saison des pluies, de décembre à juillet, et la saison sèche, d'août à novembre. La ZIC joue un rôle clé dans ce climat. Elle est en effet la zone où les alizés des deux hémisphères convergent, apportant une humidité importante et favorisant la formation de nuages et de précipitations, souvent fortes, notamment durant la saison des pluies. Des pluies que l’on bénit lorsqu’elles arrivent, mais qui renforcent davantage la sensation de moiteur. Le taux « normal » d’humidité durant ces périodes tourne autour de 85 - 90 %, mais il arrive d’atteindre 98 - 100 % en taux maximal.
Une dame créole splendide dans son grand âge, rencontrée au comptoir réfrigéré d’une petite épicerie et que je complimentais sur sa beauté, m’a confié le secret des guyanaises : « vivre dans la moiteur depuis l’enfance confère une peau sans nulle autre pareille, ma chérie ! » Nous sommes devenues amies.
« Rien n’arrive pour rien », était son aphorisme préféré.
Ainsi, on m’a régulièrement demandé si la Guyane subissait des cyclones. Non, pas de cyclone en Guyane, en raison de sa position : juste au sud de la ZIC. Une chance ! Les trajectoires des cyclones tendent à se diriger vers le nord ou l’ouest, affectant plutôt les Caraïbes ou la côte de l’Amérique du sud, côté Venezuela, Colombie. Ce qui fait de la Guyane une région relativement épargnée par ces phénomènes, n’en recevant que des effets modérés. Un climat qui, s’il est agréable par sa chaleur et le bonheur de vivre peu vêtu à l’année, peut s’avérer épuisant à la longue pour nos organismes d’européens. Je dois vous confier qu’à mon arrivée en Meuse, j’ai été ravie de retrouver nos quatre saisons bien distinctes. De découvrir le brame du cerf, que je n’avais de ma vie jamais entendu. Il me subjugue. Quant aux renards, écureuils, biches… que de chez moi j’aperçois, ils me bouleversent. Comme quoi !
Chers amis, vous venez de faire un tour général de ce département d’outremer, fascinant, unique. Dans un second épisode, je souhaite vous emmener à la découverte des iles du Salut, visiter le village Hmong de Cacao et celui amérindien de Antecume- Pata de la tribu des Wayanas. Vous parler du carnaval guyanais et de sa particularité. De la base de lancement de Kourou. De l’art amérindien et bushinengué.
Et allez, soyons fous ! Ajoutons un troisième épisode, consacré exclusivement à la forêt et aux bois de Guyane. Qu’en dites-vous, on continue le voyage ?

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