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LA SARABANDE DES VOEUX
Sarabande : le mot lui-même est une fantaisie. Danse espagnole au rythme vif, d'abord lascif, ou plutôt lent mais accompagné d'étourdissants jeux de castagnettes, danse française lente et grave, étymologie persane, sonorités bondissantes suggérant une ribambelle joyeuse et variée...Quel choix ! Et les voeux , donc ! " Bonne année ! " Que c'est banal et plat ! " La santé, surtout", insistent les vieux. Il n'est plus dans l'air du temps de souhaiter de nombreux enfants à un jeune couple et il serait sans doute indélicat de souhaiter de l'argent à un pauvre ou du bonheur à un malheureux. Alors, on s'en tient un peu lâchement au plus facile : "puisse la nouvelle année voir se réaliser ce que tu désires !"
Aïe ! Sais-je vraiment ce que je désire, ou plutôt sais-je ce que je désire vraiment ? Et si mon voeu se réalise, en serai-je satisfait ? Bien des contes populaires, sous une forme fantaisiste savamment naïve, nous amènent à nous poser ces questions. Vous connaissez l'histoire du pêcheur et de sa femme ? Chaque jour, l'homme quittait sa cabane pour aller paisiblement lancer sa ligne dans l'océan. Un jour, il remonte un grand turbot, en fait un prince ensorcelé qui le prie de lui laisser la vie sauve. "Comment ? s'indigne sa femme, à qui, revenu bredouille, il conte l'aventure. Tu l'as relâché sans lui demander de réaliser pour toi un souhait alors que nous vivons dans cette misérable cabane ?" "Non, lui répond l'homme. Je n'ai rien à demander". En voilà, un homme sage, heureux de son sort ! Hélas, il est soumis à sa femme : sur son ordre, il va à contre coeur harceler le turbot car la femme, insatiable, dans une folie de richesse et de pouvoir, voudra bientôt être châtelaine, puis reine, impératrice, papesse. Quand dans un véritable délire, elle exige la puissance divine, elle se retrouve aussitôt dans la cabane d'origine. Tout a été perdu.
Bien misogyne, ce conte ! Je n'en disconviens pas. Et le conte en vers des "souhaits ridicules", de Perrault, l'est tout autant (appartenant moi-même à ce que l'on appelait autrefois "le beau sexe", je pense que mes lectrices me pardonneront ! ) Blaise, un pauvre bûcheron désespéré par sa vie dure où aucun de ses souhaits n'est jamais exaucé, voit soudain apparaître Jupiter, qui lui offre d'exaucer ses trois premiers voeux : "Vois ce qui peut te rendre heureux / Vois ce qui peut te satisfaire". Il en parle à sa femme et la sage décision est prise de réfléchir. Mais voilà que, devant le feu, il rêve imprudemment à haute voix d'avoir une aune de boudin. Exaucé ! Aussitôt sa femme entre en fureur, ne veut pas écouter ses excuses, l'agonit d'injures, sans se rendre compte qu'elle l'exaspère. "L'époux, plus d'une fois, emporté de colère, / Pensa faire tout bas le souhait d'être veuf" ! Jupiter l'aurait-il exaucé ? Je l'ignore. En tout cas, Blaise se tait sur ce point mais ne peut s'empêcher de souhaiter une plaisante punition à sa femme : "Plût à Dieu, maudite pécore,/ Qu'il te pendît au bout du nez !" Exaucé ! Précisons qu'une aune équivaut à 120 centimètres ! Blaise songe à utiliser le dernier souhait pour devenir roi mais gentiment il y renonce pour éviter à sa femme le ridicule d'un physique grotesque et elle y renonce aussi, par coquetterie (les voilà enfin unis. Ne serait-ce pas là ,en fait, le don de Jupiter ? ...)Les deux époux s'accordent pour demander à Jupiter de délivrer la femme de ce nez monstrueux.
Et si le voeu émis est noble, admirable, dépourvu de tout égoïsme ? Même en ce cas, il ne sera effectif qu'avec un effort persévérant. Le jeune prince Salomon, à qui Dieu, dans un songe, déclare : "Demande ce que tu veux", demande l'intelligence pour exercer la justice sur son peuple. En cadeau gratuit, Dieu ajoute à ce voeu si sage ceux qui n'ont pas été formulés, la richesse et la gloire. Mais peu à peu corrompu par la luxure et par les croyances de ses nombreuses femmes étrangères, Salomon se détourna de Celui qui lui avait tant donné.
Alors, quels voeux présenter? Que souhaiter à ceux qu'on aime (et même aux autres )? Que se souhaiter à soi-même ? La traditionnelle formule , encore en vigueur chez moi, en Corse, est belle et sage : paix et santé. La santé, certes, mais en second lieu. Le principal, c'est la paix (dans la famille, dans le voisinage, dans le coeur...). À tous, je proclame donc : PACE E SALUTE !
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