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Qu'est-il arrivé à Savannah ?
La narratrice, Annelise, vient d’assister aux funérailles de Savannah, son amie et employeuse, dans la chapelle du château de la famille de Grandville, en compagnie de Benjamin, dramaturge et dernier amant de la défunte.
Convaincue que Savannah a été assassinée, Annelise a toutefois, appris qu’elle aurait laissé une lettre enjoignant au baron Adrien de Granville, son premier amour, d’employer la jeune fille à son service. (Voir extrait, sous la rubrique « feuilletez ce livre »). Dernière volonté à laquelle s’est plié le baron, avec une visible réticence, lors d’un entretien en privé dans son bureau. |
EXTRAIT
Durant le trajet du retour vers la capitale, j’informai Benjamin de ma conversation avec Hilda, l’infirmière du défunt baron, et de l’entretien qui avait suivi, avec Adrien de Granville.
Indigné, fronçant les sourcils, il répliqua, lèvres pincées :
— Et tu tiens vraiment à accepter une offre aussi dédaigneuse ? Méprisante, même, devrais-je dire ! Non mais, il se prend pour qui, ce petit nobliau de province ? Ce n’est pas sa fortune, tombée toute rôtie dans son bec, qui lui donne le droit de te rabaisser comme ça ! Moi, à ta place, je l’aurais envoyé bouler, direct… En tout cas, un bon conseil : Laisse tomber ! Je t’aiderai à trouver autre chose, ne serait-ce qu’un emploi de scripte, ou… je ne sais pas, moi… maquilleuse, par exemple.
— Je te remercie infiniment, Benjamin, mais ce ne sera pas nécessaire ! J’ai déjà donné mon accord, et j’ai bien l’intention de m’y tenir. C’est vrai que, si l’enjeu final n’était pas aussi important, bien sûr que j’aurais refusé tout net, en lui jetant au visage mépris pour mépris… Seulement… Tu n’as pas envie, toi, de savoir ce qui est réellement arrivé à Savannah ?
Il haussa les épaules, un pli douloureux barrant son front.
— Parce que, toi, tu espères vraiment y parvenir ?... Et puis, franchement, tu ajoutes réellement foi aux ragots de cette vieille bonne femme ? Elle m’a tout l’air d’une sacrée commère, fouineuse et suspicieuse, une fouille-merde cherchant à tout prix de quoi alimenter les chimères de sa théorie complotiste. Si elle était tellement sûre qu’il s’agissait d’un meurtre, ce qu’elle aurait dû faire, c’était alerter immédiatement les flics, et empêcher, à tout prix, l’incinération. Maintenant, il est trop tard pour prouver quoi que ce soit… Si tant est, d’ailleurs, qu’il y ait jamais eu réellement quelque chose à prouver… Crois-en mon expérience, j’en ai croisé plus d’une, de ces langues de vipères, fourrant leur nez partout et colportant les rumeurs les plus extravagantes, pour tenter de donner de l’importance à leur insignifiante personne… Réfléchis, voyons ! Ce n’est pas pour défendre cette bande de privilégiés, puants de prétention, qui m’inspirent le plus grand mépris, mais… objectivement, quel serait leur mobile ? Quel intérêt, dis-moi, auraient-ils pu avoir à assassiner un membre de leur famille qui ne leur laisse aucun héritage ? Et en admettant même que le testament trouvé dans la chambre de Savannah soit un faux, pourquoi, à ton avis, y auraient-ils introduit une clause qui, non seulement fait de toi sa seule héritière – ce qui, bien sûr, se chiffre à peu de choses – mais surtout, les oblige à t’employer au château, au risque, justement, que tu ne viennes fourrer le nez dans leurs affaires ? Un peu de bon sens ! Ça ne tient pas debout, et tu n’as aucune preuve tangible de ce qu’avance cette vieille illuminée. Rien d’autre que sa parole, à elle, sur le point d’être licenciée, ce qui a sans doute provoqué haine et rancœur, et un logique désir de vengeance… Et non seulement ton enquête est vouée à l’échec, mais même si elle avait la moindre chance d’aboutir, ce n’est pas ça qui ressusciterait notre chère Savannah.
Sur ces derniers mots, prononcés dans un sanglot, je demeurai un moment silencieuse, respectant le chagrin de Benjamin, et méditant ses sages paroles.
Je n’avais évidemment pas envisagé la situation sous cet angle, et devais admettre qu’il n’avait pas tout à fait tort.
Toutefois, la seule perspective que mon amie aurait pu être assassinée, et que son meurtre pourrait rester impuni, me révoltait si profondément, qu’en y songeant, je sus que je ne pourrais pas m’empêcher d’aller plus loin, et remuer, au besoin, ciel et terre, pour comprendre enfin les circonstances de son tragique décès.
Comme je demeurai coite, Benjamin repris, après un long silence :
— Tu ne dis rien ? Quelle conclusion dois-je en tirer ? Tu renonces… ou tu t’obstines ?
— Comme je te l’ai dit tout à l’heure, j’ai déjà accepté, et je n’ai pas l’habitude de revenir sur ma parole. Un engagement est un engagement. Je ne suis pas une girouette.
Il poussa un profond soupir.
— Bonté divine, Annelise ! Quelle sacrée tête de mule tu fais !... Au moins, promets-moi que tu ne prendras pas le moindre risque, et que tu n’hésiteras pas à m’appeler si tu as, ne serait-ce que l’impression, de courir le moindre danger… Je ne les sens pas, ces aristos !
Profondément touchée par sa sollicitude, je promis, pour le rassurer.
Mais il reprit amèrement :
— Ce matin, tu comparais ta famille à un nœud de vipères. Eh bien, j’ai l’intuition que tu t’apprêtes à te fourrer dans un autre, peut-être plus venimeux encore. Un panier de crabes dont tu risques de ne pas ressortir indemne… Et ça, d’autant plus si tes soupçons sont fondés. Réfléchis : Si cette famille est aussi machiavélique que tu ne l’imagines, et capable de commettre – ou au moins couvrir – un meurtre, sans même être inquiétée, alors, tu t’apprêtes à te jeter dans la gueule du loup.
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