Plume a lu207 08 juillet aout2019 1

Par Jean-Pierre KLEIN

Klein jean pierre


Jusqu'à ce que les pierres deviennent plus douces que l'eau

de Antonio LOBO ANTUNES

(Christian BOURGOIS éditeur)

 
Antunes

Il n'y a pas de suspense : au bout de trois pages, vous connaissez la fin de l'histoire. Mais, ne croyez pas que vous fermerez le livre. Vous vous êtes embarqués sur un raft que vous ne maîtrisez pas, vous allez affronter un torrent de mots qui roule à toute allure, qui fonce, qui vous éclabousse. Soudain, au milieu du propos  — quand ce n'est pas au milieu d'un mot — claquent comme une banderole au vent l'une ou l'autre phrases courtes, qui reviendront comme des refrains, obsédants et itératifs. Lire Antonio Lobo Antunes, c'est s'exposer à des apnées prolongées. Ne cherchez pas les points, ils n'existent pas chez lui. Des tirets, des virgules, quelques points d'interrogation, oui. Mais le point sert uniquement à baliser la fin du chapitre.

Antonio Lobo Antunes, c'est la solitude de celui qui a vu l'indicible, le désespoir de celui à qui rien ne manque,

le cynisme du chic type. Ce sont de grands silences remplis de mots, c'est un juge qui ne condamne pas.

Il revient, avec « Jusqu'à ce que les pierres deviennent plus douces que l'eau », sur la guerre menée par le Portugal contre les indépendantistes angolais de 1961 à 1974, guerre à laquelle il a pris part comme médecin militaire, et qu'il avait déjà évoquée dans « Le cul de Judas » en 1979. Il nous parle ici de la culpabilité, de l'amour, de la vengeance. De la maladie qui tue aussi sournoisement que le couteau. Il nous parle de la nature des choses que l'homme ne peut influencer même et surtout s'il en connaît l'issue.

Un sous-lieutenant revient d'Angola avec un jeune enfant noir qu'il a sauvé du massacre de toute sa famille. Ils vont s'aimer comme père et fils tout en sachant qu'un jour, ils régleront leurs comptes. Ce sera un jour de tue-cochon, dans le village d'origine de la famille. Le père, la mère — que la maladie emporte elle aussi vers sa fin —, la fille, le fils noir et sa femme qui le méprise, tous donnent leur version des faits pendant 560 pages de mots qui s'entrechoquent.

Vous n'en sortirez pas indemnes.

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